Noël en Alsace… Wyhnachte by uns d’heim… Ecoutez le chant juste en-dessous… Pour moi, il représente parfaitement l’attente sereine de cette fête que j’aimais tant, enfant comme adulte. Comme la petite flamme d’une bougie timide dans la nuit froide de l’hiver. Une sorte d’humilité solennelle, si je peux me permettre cet oxymore. Willgottheim blottie sous la neige, comme sur ce tableau de Loux, dont l’église me fait penser à la nôtre…


Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
Et pour ne pas manquer les prochains articles, inscrivez-vous à la newsletter (ni publicité, ni partage de vos données personnelles) !
Attention : assurez-vous d’avoir bien reçu le mail de confirmation (en vérifiant vos spams notamment)
Les chants de Noël en Alsace
C’est un des plus vieux chants de Noël en Alsace. Le célèbre prédicateur Jean Tauler, mort en 1361, y utilise toutes sortes de métaphore pour illustrer l’Incarnation :
Un navire arrive, chargé Jusqu’à son plus haut bord,
Il porte le Fils de Dieu plein de grâce, Le Verbe éternel du Père.
Le navire manœuvre doucement, Il porte une charge coûteuse,
La voile est l’amour, Le Saint esprit, le mât.
L’ancre s’accroche à la terre, Le navire a accosté.
Le Verbe se fera chair pour nous, Le Fils nous a été envoyé.
À Bethléem est né, Dans une étable, un petit enfant,
Il s’est perdu pour nous ; Béni soit-Il.

L’Avent en Alsace
Cette attente, c’était évidemment le temps de l’Avent. Période de repos de la terre, de nuits longues et mystérieuses, de veillées plus chaleureuses que d’habitude. A Willgottheim, je me souviens avec tendresse de ces soirées avec Papepa et Mamema, avec les cousins, les frères et sœurs, déjà grands pour certains. N’oublions pas que j’étais le petit dernier de neuf enfants. Alors quand j’avais le droit de veiller avec les plus grands…
Vous vous attendez à ce que j’évoque la couronne de l’Avent, j’imagine ? Eh bien, non ! C’est une chose allemande, plus tardive, et surtout protestante.

Par contre, le temps de l’Avent commençait avec la Saint-André, fête très spéciale, peuplée de rites ancestraux concernant le choix par les jeunes filles de leur futur mari. Mais il faut croire qu’aucune jeune fille de Willgottheim n’a vu apparaitre dans ses songes le dernier rejeton du maréchal-ferrant ! Ce n’est que bien plus tard, et à Strasbourg, qu’Adélaïde et moi nous sommes trouvés. Savez-vous que les Männele semblent partager leur origine entre la grosse brioche en forme d’homme que les soupirants offraient à leur élue le jour de la Saint-André, et les petits enfants de la légende de Saint Nicolas ?

Le jour de la Saint-André, on lisait la parabole des vierges sages et des vierges folles. Leur représentation au portail de la cathédrale m’a toujours comblé de joie ! Est-ce pour cette raison que l’on a fait de Saint-André un saint marieur ?
Saint Nicolas et le Hans Trapp


J’ai mis un temps fou à réaliser que le Saint Nicolas qui frappait à la porte de la maison, le soir du 6 décembre, était un homme du village déguisé, plus ou moins habilement, en évêque ! Comme il m’impressionnait… Mais celui qui me terrorisait carrément, c’était le Hans Trapp qui l’accompagnait ! Imaginez un vieillard, avec un grand chapeau, une longue barbe et un long manteau tout noir. Il avait toujours avec lui un grand sac pour emporter les enfants qui n’auraient pas été sages… Et sa voix, toute rauque et caverneuse, ses sabots qui faisaient un boucan de tous les diables… Les enfants présents dans la salle commune devaient alors lui réciter :
Supplication au Hans Trapp
Ich will folje in der Màmma, im Pàpa noch meh, in àlla zwei zamme.
Oh ! Màch mir nit weh !
Will s Katzele nimm risse àm Wedele,
am Bëin,
nimm schleje, nimm bisse,
nimm warfe met Stëin,
nimm d’Häseler verbrenne,
nimm fische im Bàch.
Dàs àlles versprich i im guete Hàns Tràpp !
Je veux obéir à maman, et encore plus à papa,
à tous les deux en fait.
Oh ! Ne me fais plus de mal !
Je ne tirerai plus le petit chat par la queue,
par la patte,
je ne cognerai plus,
ne mordrai plus, ne jetterai plus de pierres,
je ne me brûlerai plus le pantalon,
ne pêcherai plus dans la rivière.
Et je promets tout cela à ce bon Hans Trapp !

Et nous déposions à l’entrée de la maison une botte de foin pour le Pickeresel, l’âne qui accompagnait Saint Nicolas et le Hans Trapp, portant sur son dos les friandises que nous recevions si nous avions été sages… des pommes, des poires, du pain d’épices, parfois un jouet en bois. Dont j’aurais juré que maman l’avait acheté en cachette lors de notre excursion annuelle au Christkindelsmärik, à Strasbourg, pendant que papa détournait mon attention en m’offrant une pomme d’amour.


Le 24 décembre, la grande veillée
Je crois que nous ne chantions jamais tant, à la maison, que pendant la période de Noël. Et je suis triste en constatant que vous n’avez gardé dans vos mémoires aucun de ces chants que nous aimions. La plupart étaient en allemand, quelques-uns en alsacien… Quand Jean Muller a épousé notre Marie, il nous a fait connaitre des Noëls en français de son Sundgau natal. Il venait de Uffheim. Personne n’est parfait.
Mais pas de “Petit Papa Noël” (le gros bonhomme rouge n’existait pas…), ni de “O Tannenbaum”. Le sapin, nous en suspendions quelques branches dans la Stub, ou dans la chambre des enfants, avec des oublies, quelques bredele et des cocardes. Le sapin en entier est venu un peu plus tard, encouragé par les protestants. Mais nous l’avons volontiers adopté comme une signature régionale. Alors, pour nos appartements strasbourgeois, il était de coutume d’aller chercher un bel arbre au Marché de Noël.

(Cabinet des Estampes, musées de Strasbourg)
Le Noël des Alsaciens hors d’Alsace
Paradoxalement, ceux qui ont sans doute répandu le plus le sapin de Noël étaient les optants. Vous savez sans doute que l’on appelait ainsi les Alsaciens qui avaient quitté l’Alsace en 1870 pour conserver leur nationalité française et fuir l’annexion.
Alors, partout en France, mais surtout à Paris, ils célébraient Noël à la manière de leur Heimat, leur petite patrie. Le sapin de Noël, inconnu des Français « de l’intérieur », se généralisa ainsi. On le couronnait évidemment de petits drapeaux français, qui remplaçaient – curieusement quand même – le traditionnel chérubin, l’ange de la maison. Dans le même temps, les autorités allemandes d’Alsace tentaient de faire passer le sapin pour une coutume « germanique » et le rendaient obligatoire dans toutes les écoles. Même Noël attisait la querelle…


La messe de Minuit

Jusqu’au milieu de la nuit, on ne mangeait pas ! C’était un jour de jeûne strict. Avant de partir à la messe de Minuit, on se réunissait pour chanter des cantiques de la Nativité. Le doyen, souvent Papepa, mettait une grosse bûche dans le Kàchelofe, aspergée d’eau bénite. Elle devait tenir la maison chaude jusqu’à notre retour de l’église. Et les enfants partaient en tête, papa en dernier pour fermer la maison. Nous nous laissions happer par le doux son de l’orgue bruissant de l’église chaleureusement éclairée. Ce tout nouvel instrument, dont l’église Saint-Maurice de Willgottheim avait fait l’acquisition pour mes sept ans, me fascinait et me ravissait. C’était la première des trois messes de Noël.
Le 25 décembre, jour de Noël
Et, au retour, nous pouvions enfin déguster les bredele que maman faisait si bien. Mes préférés étaient les Schwovebredele, dans lesquels elle mettait plus de cannelle que les autres. Et puis aussi les Butterbredele. Les recettes se sont transmises de génération en génération… Et puis les Springerle, dont Papa sculptait les moules en bois à la veillée. Le lendemain matin, malgré la courte nuit et nos yeux embués de sommeil, nous savourions avec reconnaissance le Christstolle, entre la messe de l’aube et celle du jour.


Alors toute la famille se réunissait pour le grand repas de Noël et cette ambiance de fête, si douce, si tendre et chaleureuse, se prolongeait jusqu’à l’Épiphanie.
Jésus était né. Le Kindelein sommeillait dans la crèche. Nous étions heureux.
Schlaf, mein Kindelein
Schlaf, mein Kindelein, schlaf, mein Söhnelein! singt die Mutter Jungfrau rein; Schlaf, mein Herzelein, schlaf, mein Schätzelein ! singt der Vater eben fein.
Singet und klinget dem Kindelein klein, dem honigsüßen Jesulein, singet und klinget, ihr Engelein rein, mit tausend süßen Stimmelein !
Schließ dein Äuglein zu, deck dein Händlein zu, denn es braust ein scharfer Wind; Schlaf, mein Kindelein, dich das Eselein wird erwärmen mit dem Rind.

Dors, mon petit enfant, dors, mon petit fils ! chante la mère vierge pure ; Dors, mon petit cœur, dors, mon trésor ! chante le père tout aussi bien.
Chantez et sonnez pour le petit enfant, pour le doux petit Jésus sucré comme le miel, chantez et sonnez, vous les purs angelots, avec mille douces voix !
Ferme tes petits yeux, couvre tes petites mains, car souffle un vent aiguisé ; Dors, mon petit enfant, toi, l’ânon te réchauffera avec le bœuf.


Un cadeau de Noël pour vos grands-parents ou pour vos parents, qui serait aussi un inestimable cadeau pour vous ?
Beaucoup de mes souvenirs d’enfance ont été ravivés par l’excellent ouvrage de Gérard Leser : “Noël en Alsace – Rites, coutumes et croyances”, aux éditions Degorce
On trouvera encore plein de coutumes sur : https://www.ecomusee.alsace/wp-content/uploads/2022/11/traditions-de-noecc88l.pdf
Laisser un commentaire