La place de l’Hôpital à Strasbourg

Curieusement, c’est un lieu que j’ai fréquenté tardivement. Sans doute parce que le mot « hôpital » me faisait un peu peur. Surtout qu’à l’époque, on parlait plutôt d’« hospices », c’est-à-dire d’endroits où l’on achevait sa vie. Mais, à quelques années d’intervalle, la place de l’Hôpital à Strasbourg allait me voir passer plus régulièrement. D’abord sur le chantier de l’École de Médecine. Ensuite, pendant le siège de Strasbourg. Enfin pour voir éclore, les uns après les autres, les nouveaux pavillons de la faculté de médecine.

Antoine Wendling
Antoine Wendling

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.

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La Faculté de Médecine, place de l’Hôpital

Lorsque l’on décida en 1862 d’abattre le vieux Grieneck, place de l’Hôpital, la curiosité m’avait poussé à venir jeter un œil sur l’aspect que pourrait avoir un nouveau bâtiment à cet endroit de Strasbourg. La perspective par la rue d’Or sur la cathédrale était fascinante.

Mon patron, Jean-Geoffroy Conrath, architecte de la Ville, avait été chargé de la construction d’une nouvelle École de Médecine. Il faut dire qu’étudiants et professeurs se trouvaient un peu à l’étroit dans les salles de cours aménagées dans le splendide bâtiment Mollinger, reconstruit après l’incendie de 1716, et le chœur de la chapelle Saint-Erhardt.

L’école d’anatomie de Fries

Auparavant, en 1856, tandis que je travaillais encore chez Petiti et Klotz, la Ville avait construit, pour les services d’anatomies de la Faculté, un bâtiment entre le chœur de la chapelle et la tour. Fries, le prédécesseur de Conrath, en était l’architecte. On peut s’étonner de cette “consécration” du rez-de-chaussée de la chapelle aux travaux d’anatomie. Mais la pratique remontait à 1670 !

Il faudra attendre 1889 pour que la chapelle soit attribuée au culte protestant, après un intermède de gynécologie de dix ans. Les voies du Seigneur…

Pour l’essentiel, les cours de médecine étaient dispensés, au début des années 1850, à l’Académie. Jusque là, la médecine à Strasbourg revenait essentiellement aux militaires. Les futurs médecins militaires, les carabins rouges, considéraient d’ailleurs leurs homologues civils comme des tire-au-flanc, des dilettantes. La construction d’une école de médecine devait contribuer à battre ces idées en brèche.

L’École de Médecine de la place de l’Hôpital à Strasbourg

Les plans de Conrath exploitaient au mieux la parcelle triangulaire libérée par le Grieneck. Mais je dois avouer que je n’étais guère séduit par l’aspect du bâtiment.

Certes, ses austères façades néo-helléniques ne manquaient pas de dignité. Les larges ouvertures correspondaient aux besoins de lumière que Conrath déclinait dans ses édifices scolaires, comme à l’école Saint-Guillaume ou à l’école Saint-Louis. Le grand amphithéâtre impressionnait, mais on n’avait guère de recul pour en admirer la rotonde.

Surtout, je peinais à déceler la pertinence de l’intégration du bâtiment dans l’environnement exigu et médiéval de la place de l’Hôpital.

Les travaux s’achevèrent en 1866. Je n’y participais pas, occupé que j’étais par le chantier de l’église Saint-Pierre-le-Vieux. Mais je crois que personne, alors, n’aurait pu se douter que l’École de Médecine quitterait le bâtiment vingt ans plus tard, remplacée par la Bibliothèque et les Archives municipales.

L’Hôpital Civil

La Faculté de Médecine, laborieusement, tentait donc de se faire une place dans l’Hôpital civil multiséculaire. Hors de question, bien sûr, d’en retracer l’histoire ici. Je n’y connaissais pas grand-chose. Mais les yeux d’un commis-architecte réalisaient sans peine le manque d’espace dont souffrait l’institution.

Toute extension vers le sud était exclue, puisque le rempart l’empêchait. Alors, vers le nord, il fallait piocher dans le foncier privé et racheter des immeubles jusqu’au quai Saint-Nicolas et à l’impasse du Bouc (qui n’existe plus de vos jours). Ainsi, l’hôtel des Boecklin (bâtiment J sur le plan), au 6 du quai Saint-Nicolas, devint-il le bâtiment administratif. Une de ses dépendances (I’) reçut la clinique ophtalmique. Et on construisit dans la cour, en 1860, une clinique chirurgicale (bâtiment I) qui, à la fin de ma vie, était toujours en service.

De même, la municipalité racheta l’arrière de l’hôtel de Franck, 7 quai Saint-Nicolas, à la famille de Renouard de Bussière (repère L sur le plan). On y installa la Maternité et l’École de Sages-Femmes.

Mais il devenait évident qu’on ne pourrait pas grignoter indéfiniment la ville et s’installer dans des bâtiments inadaptés.

L’Hôpital civil contre le rempart

La porte de l’Hôpital, vigie de la place

Quatre ans après l’achèvement de l’École de Médecine, le 9 septembre 1870, je franchissais la porte de l’Hôpital pour aller défendre le Bastion 4 avec mes camarades artilleurs de la garde nationale sédentaire. On nous avait retirés du Bastion 12, à la porte de Pierres, sur le point de céder sous la poussée prussienne. Le rempart passait alors juste derrière la partie sud de l’hôpital et le bastion s’étalait devant la nouvelle église catholique construite par Villot quelques années plus tôt.

Elle était belle, cette porte de l’Hôpital, dernier vestige — hormis les Ponts Couverts — des tours défensives de l’ancienne enceinte. Sur le front sud, elle constituait la seule porte d’entrée dans la ville avec la porte d’Austerlitz dont nous avons récemment parlé.

La dernière tour-porte des remparts de Strasbourg

La porte intermédiaire, à l’instar du gros bastion de la porte d’Austerlitz, avait disparu en 1769. Mais le reste était intact. Le haut rempart, agréable promenade plantée d’ormes en temps de paix, s’étalait de part et d’autre de la porte extérieure. Il menait à notre Bastion 4, qu’on appelait aussi “Petit Polygone”.

Adélaïde et moi, jeunes mariés, aimions nous promener sur le rempart. En venant de notre place Gutenberg, nous sortions par la porte d’Austerlitz et cheminions à l’ombre des ormes jusqu’aux Ponts couverts, bien inconscients du conflit qui, un jour, bouleverserait nos vies.

L’hôpital sous les bombes

Mais, début septembre 1870, nous en avons déjà tant parlé, la vision de l’endroit était bien moins bucolique.

Ce plan montre à quel point les installations de l’hôpital n’ont pas retenu les obus prussiens. Imbriqués dans la ville, peu ont été sévèrement touchées par la quarantaine d’impacts, hormis l’église de Villot. Néanmoins, l’émoi fut grand, tant les blessés étaient nombreux, occupant les 600 lits disponibles. Nos tirs de contre-batterie, avec nos mortiers vétustes, ne pouvaient guère impressionner les Prussiens. Ces derniers empêcheront même le pasteur Schillinger, parti chercher un chargement de médicaments à Paris, de le faire parvenir à l’hôpital. Il fallait faire fléchir Strasbourg.

L’Université annexée

Et Strasbourg fléchit. Nous étions donc Allemands, désormais.

À leur arrivée, les Prussiens trouvent une Université éclatée, avec son administration et la Philosophie au Château des Rohan, la Faculté de Médecine aux différents endroits que nous avons évoqués — auxquels se rajoutent des localisations rue de la Nuée Bleue —, la Faculté de Théologie protestante au Stift, le Droit, la Pharmacie et les Sciences naturelles à l’Académie.

L’Empereur tient à faire de l’Université de Strasbourg une vitrine du savoir germanique. Les enseignants allemands, attirés par cette perspective, découvrent des locaux vétustes et inadaptés. Ce constat et les professeurs militent pour la construction de nouvelles installations prestigieuses. Mais où ?

Les militaires sont la clé de tout. Et font traîner les choses en longueur, le temps de redéfinir les nouvelles fortifications. Implanter l’ensemble des installations de la nouvelle université autour de l’Hôpital civil, selon le vœu de beaucoup d’enseignants, s’avère impossible faute de place.

Le nouveau campus de la porte des Pêcheurs sera protégé par la nouvelle enceinte urbaine. Mais on voit mal comment y inclure les instituts de la Faculté de Médecine. D’autant que certains professeurs s’opposent catégoriquement à ce que la Faculté soit séparée de l’hôpital.

Ce qui n’empêche pas August Orth de proposer, dans l’une des variantes de son plan pour la Neustadt, un campus de médecine à la Krutenau. Il serait parti de l’Académie et aurait rejoint le nouveau Palais Universitaire par prolongation de la promenade Lombard. Mais les acquisitions et destructions à opérer rendaient le projet inenvisageable.

August Orth - Plan pour le campus médecine de Strasbourg
Plan d’August Orth pour le nouveau campus de la Faculté de médecine, perpendiculaire au campus principal.

Le coup de force du bastion 4

Ces atermoiements durent des années ! Les militaires attendent 1878 pour définir le nouveau périmètre de l’enceinte fortifiée. Mais entretemps, coup de tonnerre ! Les professeurs d’anatomie von Recklinghausen et Waldeyer menacent de démissionner si on ne construit pas un nouvel institut d’anatomie proche de l’hôpital.

Je n’y connaissais rien, vous vous en doutez bien. Ni à l’influence des deux personnages ni à ce qu’ils enseignaient. Mais il semble que le chantage de ces sommités ait eu suffisamment de poids pour tordre le bras aux militaires.

Ils acceptent de rectifier la fortification sud en attribuant le Bastion 4 et son voisin le 5 à la Faculté de Médecine. Ainsi commence la fabuleuse aventure architecturale du nouveau complexe hospitalo-universitaire.

Le nouvel institut d’Anatomie

Bastions cédés à la nouvelle Faculté de Médecine

À l’aube d’une carrière plus que brillante, Albert Brion fait ses premières armes strasbourgeoises avec le nouvel institut d’Anatomie normale et pathologique, dont les travaux démarrent en 1874. Bien sûr, il travaille d’après les exigences des deux anatomistes, mais sa manière est déjà magistrale. Plus tard, avec Berninger, il réalisera par exemple la villa Burger aux Contades, ou la villa Clog avenue de la Robertsau. Puis, avec Eugène Haug, il sera l’auteur de la Maison Rouge ou de la Strassburger Bank.

Initialement prévu comme une barre longitudinale, l’institut prend finalement la forme du bastion sur lequel il se construit. Cette contrainte, imposée par les fondations de Vauban, en fera le seul édifice fermé de l’hôpital, avec une cour intérieure. Deux bassins l’agrémentent, où s’ébattent poissons et grenouilles.

La forme et le style néo-hellénisant rendent le bâtiment comparable à l’École de Médecine de Conrath. Mais l’impression est très différente, sans doute en raison du choix des pierres. Air et lumière sont les maîtres-mots. Avant l’arrivée de l’électricité, la lumière du jour conditionne les travaux d’anatomie et de pathologie pratiqués ici. Évidemment, tous les perfectionnements possibles sont installés dans les deux instituts, autour d’amphithéâtres, de bibliothèques et de salles de démonstration. Sans oublier les ascenseurs à cadavres.

De vos jours, dans l’enchevêtrement des constructions diverses et pas toujours très réussies, il est un peu difficile d’apprécier l’œuvre de Brion.

Strasbourg - Hôpital civil - Institut d'Anatomie
Vue aérienne de l’Institut d’Anatomie (Google Earth)

De le place de l’Hôpital aux Hôpitaux universitaires

Mais la machine était lancée. De la petite faculté de médecine de Strasbourg, coincée dans ses locaux de la place de l’Hôpital, allaient émerger les Hôpitaux universitaires. Comme les perles d’un collier, les instituts allaient sortir de terre les uns après les autres tout au long du reste de ma vie. Certains plus réussis et ambitieux que d’autres. Comment les architectes allaient-ils se débrouiller pour habiter cet espace contraint ? Je me réjouissais de découvrir, d’année en année, l’éclosion de ce complexe pavillonnaire. Nous en parlerons très bientôt.

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

Références pour la place de l’Hôpital à Strasbourg :
Toujours l’incontournable et précieux https://www.archi-wiki.org
Et celui des Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg : https://archives.strasbourg.eu/
Foessel, Klein, Ludmann, Faure – Strasbourg, panorama monumental – Mémoire d’Alsace
Jean-Marie Le Minor – Les Hôpitaux de Strasbourg – Mémoires en Images – Editions Alan Sutton
Jonas, Gerard, Denis, Weidmann – Strasbourg, capitale du Reichsland Alsace-Lorraine et sa nouvelle université – Oberlin

3 réponses à “La place de l’Hôpital à Strasbourg”

  1. […] Découvrir l’article […]

  2. […] embryon de Faculté de médecine remonterait au début du XVIIIe siècle. Mais on a vu combien elle peinait à s’implanter dans l’Hôpital civil et à collaborer avec lui. Pourtant, un tiers des étudiants […]

  3. […] Université, elle, lorgne au départ vers le Sud. Une implantation dans le même secteur que l’Hôpital civil serait cohérente. Mais les militaires refusent le démantèlement du front Sud, beaucoup trop […]

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