Elle est un peu facile, je l’avoue, et bien souvent reprise. Mais aujourd’hui, j’avais envie d’évoquer avec vous un de mes plus fameux confrères, architecte du Temple Neuf, mais aussi de tous les édifices qui l’entourent. Alors, n’hésitez pas à voir dans mon titre un peu de jalousie pour un sacré bonhomme, à peine plus jeune que moi, mais dont la trajectoire a été autrement plus brillante.
Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
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Émile Salomon
Émile est un pur produit du système éducatif protestant de Strasbourg. Après ses études au Gymnase et une période d’apprentissage chez Moeder, il a passé une année à l’Akademie der bildenden Künste de Munich, puis deux ans à l’École des Beaux-Arts de Paris. J’avais une formation beaucoup moins académique. Passionné de dessin dès mon enfance, j’étais passé par l’École industrielle municipale de Strasbourg et, après mon service militaire au 5e d’Artillerie, j’avais gravi les échelons du service d’architecture de la Ville, depuis commis jusqu’à conducteur de travaux. Comme je ne pouvais pas me prévaloir de titres de grandes écoles, il a fallu que je monte mon propre cabinet pour devenir architecte.
Émile, lui, au retour de ses études et de son grand Tour, pris la succession de son futur beau-père, Frédéric Auguste Struber, comme architecte de la Fondation Saint-Thomas Elle gère l’immense patrimoine immobilier de l’Église de la Confession d’Augsbourg à Strasbourg. Les événements et l’histoire allaient lui donner un terrain de jeu incomparable.
Cette petite galerie vous montre quelques-uns des plus fameux bâtiments que vous connaissez de lui. Elle démontre aussi sa grande maîtrise de styles très différents, toujours teintée du classicisme appris chez Questel à Paris, mais s’orientant à la fin de sa vie vers le Heimatstil dont nous avons déjà parlé au Zimmerhof.
Le Temple Neuf des Dominicains
Il ne s’agit pas, ici, de retracer l’histoire de ce couvent du XIIIe siècle. Elle est riche et longue, et embrasse toute celle de la Réforme à Strasbourg.
Mais il faut que vous puissiez vous représenter les bâtiments que j’ai connus dans ma jeunesse, leur ampleur et leur disposition.
La double nef de l’ancienne église des Dominicains abritait la communauté protestante depuis son éviction de la Cathédrale en 1681. Dans la nef de droite, face aux fidèles, un très bel orgue Silbermann ornait la tribune.
dessin de Jean André Silbermann
Dans la nef de gauche, sous la tribune symétrique à celle de l’orgue, on avait placé l’autel et, à gauche, la chaire de prédication. Au Sud, sous le bas-côté qui donne un aspect un peu biscornu à la toiture, une grande tribune courrait tout du long. On a là tous les codes du lieu de culte protestant, qu’il sera important d’avoir à l’esprit pour comprendre les projets de reconstruction de l’édifice.
Sur le flanc nord de l’église s’étendent les bâtiments du Gymnase, haute institution scolaire protestante, au riche passé universitaire et qui, depuis 1829, est le « Gymnase protestant ou collège mixte de Strasbourg ».
Et bien sûr, le chœur de l’ancienne église des Dominicains est la Bibliothèque de la Ville. Vous voyez le bâtiment accolé au chœur ? C’est là qu’était abritée la bibliothèque de l’Université primitive. A la mort du fondateur de la bibliothèque municipale, l’illustre Schoepflin, ses 11 000 volumes trouvent place dans le chœur lui-
même, bientôt rejoints, en 1810 par les fonds provenant des couvents du département, saisis par les révolutionnaires. En y ajoutant encore les alsatiques de Jean André Silbemann, archéologue et facteur de l’orgue qui se trouve juste de l’autre côté du mur, ce sont près de 400 000 volumes qui forment une des plus riches bibliothèques de l’époque.
Mais il faut surtout se figurer la taille impressionnante, en longueur comme en hauteur, de l’édifice qui domine de sa masse les toits de la vieille ville.
L’incendie du Gymnase
Le 30 juin 1860, un grand incendie détruit une grande partie du Gymnase. La bibliothèque municipale et le Temple Neuf ne sont pas touchés, mais les bâtiments scolaires devront être reconstruits dans leur presque totalité.
Ce sera le premier grand chantier confié par le Consistoire à Emile Salomon. Il s’en acquitte de fort belle manière, dans un style classique que j’affectionne, avec de longues façades à deux étages posés sur un soubassement.
Le bâtiment central est rehaussé d’un étage sous la toiture en combles brisés, comme les pavillons latéraux.
L’ensemble, enrichi d’un internat, est inauguré en grande pompe en août 1865, avec la fanfare du régiment des Pontonniers.
avec la fanfare du régiment des Pontonniers
Le désastre de 1870
Tout juste 5 ans après, une bonne partie de son œuvre était déjà ruinée. Les Prussiens assiégeaient Strasbourg qui, sous le commandement du général Uhrich, refusait la reddition. Les bombardements commencent le 15 août. Une des pires nuits est celle du 23 au 24 août. Nous habitions tout près, au Fossé des Tanneurs. Adélaïde était toute proche de mettre au monde notre petite Marie.
Ce que je vis alors en sortant place Kléber, jamais je n’ai pu l’oublier. Non loin de l’Aubette en flammes, le Temple Neuf et la bibliothèque n’étaient plus qu’un immense brasier.
(aquarelle de Schweitzer)
(aquarelle de Schweitzer)
Dès le lendemain matin, comme artilleur de la garde nationale sédentaire, je fus affecté à la défense du bastion 12, juste devant la porte de Pierres. Mais tout le monde sut rapidement que rien n’avait pu être sauvé. Si le Gymnase était modérément touché, l’église dans son ensemble était ravagée, tous les volumes de la bibliothèque en cendres, tout comme l’orgue du Temple Neuf. Des siècles de mémoire et de civilisation, tant de manuscrits et d’incunables, l’Hortus Deliciarum… perdus à tout jamais.
Reconstruire le Temple Neuf
Devant l’énormité du préjudice, les dommages de guerre consentis par les nouvelles autorités allemandes se montèrent à 800 000 francs pour la reconstruction d’une église. Évidemment, le contenu de la bibliothèque était irremplaçable et inestimable. Surtout, on laissa carte blanche au Consistoire quant au style du nouvel édifice. Il est vrai aussi que les Allemands ne se préoccupèrent pas trop de l’aspect des reconstructions au sein de la vieille ville. Leur attention était tournée vers la Neustadt.
Un concours fut donc organisé par la paroisse, très libre, sans impératif de style, simplement des mesures plus restreintes que l’ancien édifice et l’obligation de respecter le caractère du culte protestant. La jauge était fixée à 2000 personnes dans la partie principale, à laquelle devaient s’ajouter un oratoire et une sacristie.
Bien qu’international, le jury était franchement francophile, plus ou moins directement lié à Questel — qui en faisait partie —, le professeur de l’École des Beaux-Arts de Paris, apôtre du style néo-roman sensé représenter la France par opposition au gothique germanique. Et, de fait, les trois premiers prix étaient de jeunes architectes issus de son atelier.
Le 4e prix alla à Salomon et le 5e à Roederer, l’architecte avec lequel j’ai travaillé sur la reconstruction de la Préfecture bombardée. Les candidats allemands ayant plus ou moins boycotté le concours, tous les projets retenus partageaient de nombreux points communs. Ils reprenaient de nombreuses caractéristiques des églises construites à Strasbourg ou en France dans ces années-là. Certes, il y avait le prétexte de la Fondation Saint-Thomas de ne pas risquer le ridicule en bâtissant une « petite » église néo-gothique si proche de l’inégalable Cathédrale.
Félix Fries, 1847
Alphonse Roederer, 1870
Alphonse Granon, 1870
Mais sans doute voulait-on aussi éviter des expériences malheureuses, trop démonstratives, avec peut-être à l’esprit le nouveau temple Saint-Étienne de Mulhouse. Le Consistoire voulait du sobre, du sérieux… et devait aussi tenir compte d’une enveloppe budgétaire serrée.
Finalement, il fut demandé aux lauréats Bernard, Motte et Tournade de faire quelques modifications à leur projet. Ce qu’ils refusèrent, prétextant une surcharge de travail. Le remaniement de l’ensemble revint donc à Emile Salomon.
Mais avant de poser la première du nouveau Temple Neuf, Salomon devait abattre un travail considérable sur une bonne partie du pourtour de l’îlot, y imprimer sa marque et en faire un des plus vastes pâtés de maisons monoarchitecte de la vieille ville.
Plus haut édifice protestant de France.
Mais ça, je vous le raconte dans le prochain épisode…
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
Faites de votre vie,
de leur vie, un livre !
Strasbourg, panorama monumental – G. Foessel, J.-P. Klein, J.-D. Ludmann et J.-L. Faure – Mémoire d’Alsace
Il était une fois… Strasbourg – Roger Forst – Coprur
Brochure des 333 ans du Temple Neuf : https://www.calameo.com/books/003025892f32e260efee5
Emile Salomon – Article de Véronique Umbrecht dans la Revue d’Alsace, n° 142, 2016
Toujours l’incontournable et précieux https://www.archi-wiki.org
Et celui des Archives de l’Eurométropole : https://archives.strasbourg.eu/
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