Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
Si vous vous amusiez à faire un sondage dans les rues de Strasbourg, il y a fort à parier que pas un habitant sur cent ne saurait situer le Zimmerhof… Pourtant, nous avons déjà bien tourné autour ensemble. Nous avons parlé de l’hôtel de Klinglin, la préfecture, ruiné lors du siège de 1870. Ou encore de la nouvelle place impériale et du siège du Landesausschuss. Le Zimmerhof est juste entre les deux. Vous y passez sûrement très souvent. Pour vous le situer exactement, c’est l’espace compris de vos jours
entre la passerelle des juifs, en face de la Préfecture, et votre rue Pierre Bucher. Qui s’appelait à mon époque, justement, Zimmerhofgasse.
Ce qui m’a fasciné, dans ce tout petit endroit, c’est qu’il a concentré une bonne partie des influences, styles et écoles architecturaux qui s’affrontèrent ou se côtoyèrent dans la construction de la Neustadt.
Le Zimmerhof
Très loin dans le temps, avant 1525, se trouvait à cet endroit un couvent Sainte-Claire. La guerre des Paysans en eut raison. À la place, abrité par le nouveau rempart, on installa le champ de tir des arbalétriers, avant qu’ils ne déménagent près du parc de Contades. Et comme les charpentiers de la Ville étaient à leur tour chassés par la construction de l’hôtel de Klinglin, on leur donna cette parcelle étroite, coincée entre la porte des Juifs et la caserne des Juifs (qu’on appelait plutôt caserne des Pontonniers).
En 1818, l’endroit est désaffecté. Je l’ai brièvement connu abritant un manège à chevaux… ceux qui allaient s’ébattre dans les allées des Contades. En 1845, l’entreprise de construction Petiti et Klotz s’y installe. Leur frère et beau-frère, Gustave Klotz, y possède aussi son atelier. Ça vous dit quelque chose ? Oui, la tour de la croisée du transept, à la Cathédrale. Il s’agit bien de l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame.
Auprès de lui, au Zimmerhof, travaille un jeune artiste que j’ai beaucoup admiré, dont vous croisez souvent les œuvres sans le savoir : Eugène Dock, sculpteur et dessinateur. Une bonne partie des grandes statues équestres de la Cathédrale sont de lui, par exemple. J’aimais son respect du passé, allié à une certaine modernité dans ses créations personnelles.
La porte des Juifs
Donc, juste derrière le Zimmerhof, les fortifications s’ouvraient (ou se fermaient) sur la porte des Juifs. C’était une grosse installation défensive, munie d’un pont-levis, et dont Eugène Dock a parfaitement restitué l’aspect. Le corps de garde, à droite, construit en 1763, bordait le Zimmerhof.
De ce corps de garde, bien endommagé comme l’ensemble de l’installation lors des bombardements de 1870, on a gardé un portail, incorporé un peu plus loin, dans la Zimmerhofgasse (rue Pierre Bucher), à un petit immeuble de 1880.
Lorsque le plan d’extension de la nouvelle ville fut acté par les nouvelles autorités, les fortifications comme le Zimmerhof disparurent et laissèrent place à des parcelles à bâtir. Longeant la future place impériale, le terrain laissé libre par la destruction du Zimmerhof revint aux frères Ritleng, notaires.
Alfred Ritleng
Même s’ils ont été plus « modestes » que certains grands investisseurs qui achetaient des parcelles de dix hectares à bâtir dans la Neustadt, frères Ritleng ont réalisé une belle opération immobilière en faisant l’acquisition du Zimmerhof. Ils y font construire trois immeubles, dont deux doubles, tous destinés à la location ou à la revente.
Alfred était le plus fameux des deux. Normal, puisque nous sommes nés la même année ! Grand amateur d’art et collectionneur, il réunit notamment une somptueuse collection d’étains, qui sera hélas dispersée à sa mort en 1905. J’ai eu la chance de pouvoir en acquérir deux pièces assez modestes, mais que j’ai été heureux de posséder.
Ritleng, bien après ces opérations immobilières, a fait partie des cercles artistiques alsaciens à tendance francophile, comme le Cercle Saint-Léonard ou la Kunschthaafe, aux côtés du sculpteur Marzolff, du céramiste et antiquaire Charles Bastian, de peintres comme Charles Spindler ou Léo Schnug, de musiciens comme Marie-Joseph Erb ou Léon Boëlmann, et de notables tels Adolphe Seyboth ou Anselme Laugel. Il s’est aussi impliqué dans la création du Musée alsacien et a été président de la société des Amis des Arts de Strasbourg.
Les villas Mathis et Greiner
C’est un des tout premiers bâtiments du secteur à sortir de terre en 1884. Les Ritleng ont fait appel à un architecte parisien, natif de Bouxwiller, Salomon Revel.
Le style est assez académique, avec des souvenirs de la Renaissance française, mais avec une légèreté et un classicisme d’ensemble qui ne furent pas pour me déplaire.
Il s’agit en fait d’une double maison de maître, qui fera la joie de propriétaires assez prestigieux pour laisser leurs noms aux villas. Le côté quai deviendra votre villa Massol et le côté Koenigstrasse la villa Greiner. Mais, comme beaucoup de notables strasbourgeois, les Ritleng ne quittèrent pas l’ellipse insulaire, où Alfred habitait rue de la Nuée bleue. Le programme immobilier n’était qu’un investissement.
Il faut bien avoir en tête qu’à l’achèvement de ce bel ensemble, la première pierre du futur palais impérial n’avait même pas été posée. La nouvelle poste et le pont du même nom ne viendront que bien plus tard. Les frères Ritleng percent simplement le Zimmerhof d’une voie privée, qui deviendra votre rue Joseph Massol.
La villa Ritleng
Elle était sympathique, cette Doppellandhaus, couverte de riches peintures murales, dans un style davantage régionaliste, annonçant déjà ce mouvement de préservation de l’identité alsacienne qui sera prôné par les participants du Cercle Saint Léonard. Pourtant, c’est Gustav Ziegler, jeune architecte de Karlsruhe qui est à la manoeuvre. Mais les oriels, galeries et colombages dépassent les simples rappels de la Renaissance allemande.
Ils sont d’évidentes références à des codes architecturaux présents dans la ville alsacienne, un peu partout, comme le montrent les quelques exemples de la galerie ci-dessus.
Par contre, quelle idée saugrenue d’avoir autorisé plus tard l’extension de la villa vers la droite, détruisant complètement l’équilibre originel…
Le même Ziegler, presque au même moment, bâtit le grand immeuble de rapport situé juste derrière, faisant l’angle avec la nouvelle Königstrasse (votre avenue de la Marseillaise), dans un style beaucoup plus spectaculairement néo-Renaissance allemande.
(Strassburg und seine Bauten)
Bien des décors ont été victimes
des bombardements de 1944
La villa du Corps Palatia
Poussons encore un peu plus loin vers la passerelle des Faux-Remparts pour rencontrer le dernier-né du Zimmerhof (du moins sur cette face Sud) : la Pfälzer-Haus, ou Burchenschaft Palatia, premier home étudiant de Strasbourg, dont la construction se terminera près de 20 ans après les deux autres villas citées, en 1903.
Ici, les architectes sont Jospeh Müller et Richard Kuder. Ils étaient tout juste en train d’achever le nouveau Sängerhaus, votre Palais des Fêtes.
Cette petite construction a enchanté mes vieux jours ! Il y avait de tout, j’en perdais mon latin… Des éléments néo-gothiques, néo-Renaissance, des oriels tordus, des pignons… mais aussi des emprunts timides au Jugendstil naissant, le tout joyeusement mélangé en une espèce de petite bombe architecturale. Certains ont appelé cette tendance “picturalisme”. C’était divertissant et d’un mauvais goût réjouissant, comme une caricature de cette germanité qu’on voulait nous imposer et dont nous ne voulions pas.
Comme il avait changé, notre Zimmerhof, en l’espace de 20 ans ! D’un vieux chantier un peu délabré, on était passé à une succession d’immeubles si divers… Et encore, je n’ai pratiquement parlé que du côté Sud. Au Nord, le long de la Königstrasse, de beaux immeubles s’élèveront dès le début du siècle et participeront au prestige de la Neustadt allemande.
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
Faites de votre vie,
de leur vie, un livre !
Strasbourg, panorama monumental – G. Foessel, J.-P. Klein, J.-D. Ludmann et J.-L. Faure – Mémoire d’Alsace
Il était une fois… Strasbourg – Roger Forst – Coprur
Sept siècles de façades à Strasbourg – Elisabeth Loeb-Darcagne – L.D. L’édition
Dictionnaire culturel de Strasbourg – Roland Recht et Jean-Claude Richez – Presses universitaires de Strasbourg
Toujours l’incontournable et précieux https://www.archi-wiki.org
Et celui des Archives de l’Eurométropole : https://archives.strasbourg.eu/
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