La place de la République à Strasbourg (1)

Peu de villes, autant que Strasbourg, offrent une juxtaposition aussi franche entre un bâti ancien et un autre beaucoup plus moderne. Au moment du drame de 1870, toutes les époques architecturales se côtoient dans une cité relativement étroite, du Moyen-Âge jusqu’au Second Empire. Mais, nous en avons déjà parlé, la place manque à l’intérieur des fortifications. Certains quartiers sont à la limite de l’insalubrité. La place de la République est le point de rencontre, l’articulation entre le vieux Strasbourg et la nouvelle cité allemande, la Neustadt. Sa genèse est complexe et passionnante.

Antoine Wendling

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.

L’arrivée des Prussiens

La majeure partie des dégâts causés par le siège de 1870 se sont concentrés sur la partie Nord-Est de la ville, entre le Faubourg National et le Faubourg de Pierre. C’est un secteur à rebâtir complètement. A l’intérieur de ce que vous appelez maintenant l’ellipse insulaire, les principaux dommages concernent les bâtiments officiels – Préfecture, Aubette, Palais de Justice… – que les nouvelles autorités allemandes nous font reconstruire en un temps record. A titre personnel, j’ai eu la “chance”, en paiement d’une créance, de récupérer une parcelle bombardée pour y construire bientôt mon immeuble familial. Nous en reparlerons.
Mais très rapidement, l’occupant décide de s’affranchir des anciennes fortifications, de repousser très nettement l’enceinte militaire, et de construire de nouveaux quartiers sur les terrains ainsi récupérés. Je n’étais certes pas content qu’on m’impose d’être allemand mais, à titre professionnel, une aire nouvelle et passionnante s’ouvrait à moi.

L’articulation

Si, à l’Ouest, la reconstruction du Marais Vert est bornée par le projet de nouvelle gare, l’extension vers le Nord-Est, beaucoup plus vaste, a pour ambition d’englober le parc de Contades et celui de l’Orangerie. Les militaires interdisent la destruction de la Citadelle à l’Est. L’université a déjà choisi son nouveau terrain, au-delà de la Porte des Pêcheurs. L’articulation vers cette partie principale de la nouvelle ville doit donc se faire au débouché de la place Broglie, derrière le théâtre à reconstruire. C’est donc là qu’on implantera la nouvelle place Impériale, actuelle place de la République.

L’enjeu est certes architectural, mais aussi, et surtout, politique. Les autorités doivent montrer leur respect pour la ville ancienne, fleuron germanique à leurs yeux. Mais aussi proclamer la grandeur de la Nouvelle Allemagne. Strasbourg, capitale du nouveau Reichsland Elsass-Lothringen sera dotée de tous les attributs d’une administration puissante et efficace. Tout en devenant la vitrine que l’empire de Guillaume Ier veut offrir au regard de la France rivale.

Durant l’été 1878, on nous présenta donc une série de plans de la future place Impériale. Et, nous l’avons vite compris, le choix ne serait pas facile !

En comparant les différentes propositions, on voit bien que tout est une question d’axe ! Et même d’axes… Il faut tenir compte du canal des Faux-Remparts, de l’axe de la place Broglie, mais en même temps définir les axes de la nouvelle ville : celui qui mènera à l’Est vers l’Université ; vers le Nord, celui qui rejoindra la Schiligheimer Tor (actuelle place de Bordeaux).

La décision à prendre est donc lourde de conséquences. Les différents plans, à partir de cette simple articulation, conditionnent des nouvelles villes très différentes les unes des autres. Plan orthonormé ? Taille et forme des parcelles à bâtir ? Axes majeurs et mineurs ? Quant à la place Impériale elle-même, elle va d’un simple appendice de la place Broglie à une expansion monumentale, notamment sur le plan Orth ! J’avoue que son côté délirant me fascinait…

Vous avez vu la toute petite préfecture en bas à droite ? Le Palais impérial en projet à gauche de la nouvelle place parait gigantesque en comparaison ! La couverture partielle du canal aurait permis de déployer une théâtralité spectaculaire, avec en perspective cette église… discrète et fine ? Ce devait être l’équivalent protestant de la Cathédrale, plus grande et plus haute que toutes les églises paroissiales de la ville.

Le Bebauungsplan de 1880

Plan d'extension de Strasbourg 1880
Plan d’extension de Strasbourg, approuvé le 7 avril 1880

La commission en charge de la décision se prononcera finalement pour le plan de Conrath, mon collègue strasbourgeois, mais avec quelques aménagements issus des autres projets. A bien y regarder, ce qui structure finalement la nouvelle place, c’est davantage l’axe Ouest-Est de l’avenue des Vosges que la continuité avec la place Broglie. Les axes rayonnants de Orth sont abandonnés au profit d’axes orthonormés, dont celui, magistral, menant à l’université, déjà en chantier. Il sera l’axe impérial.

On renonce à la couverture du canal, de même qu’à la prolongation un temps envisagée de l’axe Nord-Sud jusqu’à la Cathédrale. La perspective sera uniquement visuelle.

La scène est désormais délimitée, mais il reste à planter tout le décor !

Nous en parlerons très bientôt.

Jean-Geoffroy Conrath était un type brillant. A peine plus âgé que moi, j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour son travail. Formé aux Beaux-Arts de Paris, il a été architecte de la Ville de 1854 à 1886. L’annexion allemande l’a maintenu en place et son plan d’extension a conditionné toute la future Neustadt. On lui doit beaucoup de bâtiments, comme l’école Schoepflin – dont j’ai particulière-ment apprécié le style – qu’il construisit avec mon ami Roederer (que l’on voit sur la photo de la Préfecture en ruines).

Ecole Schoepflin - 1876
Ecole Schoepflin – 1876

Tous les agrandissements des plans d’extension sont sur l’excellent site de l’Inventaire d’Alsace
Et bien sûr, l’ouvrage irremplaçable : La Neustadt de Strasbourg, un laboratoire urbain, aux éditions Lieux Dits

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

9 réponses à “La place de la République à Strasbourg (1)”

  1. […] l’avions déjà évoqué lorsque nous avons parlé de la Place de la République, le tout premier projet de la Neustadt de Strasbourg fut sa nouvelle Université. Dès juillet […]

  2. […] l’axe le plus fort, le plus structurant de la Neustadt de Strasbourg devait la relier à la place impériale. La Kaiser-Wilhelm-Strasse, votre avenue de la Liberté, fut ouverte à la circulation en 1882, […]

  3. […] parlé de l’hôtel de Klinglin, la préfecture, ruiné lors du siège de 1870. Ou encore de la nouvelle place impériale et du siège du Landesausschuss. Le Zimmerhof est juste entre les deux. Vous y passez sûrement […]

  4. […] à l’aube des années 1880. Sa charnière avec la vieille ville est assurée par la nouvelle Place impériale (votre place de la République). Elle définit un axe majeur avec la nouvelle Université, dont […]

  5. […] ont vu leur importance ou leur destination se modifier entre mon époque et la vôtre. Le Palais impérial de la place de la République, par exemple, ou encore le Landesausschuss… La gare de […]

  6. […] à bien se remplir. Sans parler, bien sûr, de l’Université ou des bâtiments officiels de la Kaiserplatz (place de la […]

  7. […] lieux de pouvoirs, les références à la Renaissance allemande ou italienne – on pense au Palais impérial ou au […]

  8. […] ou des Pontonniers. Même le Grand Séminaire reçoit et soigne des blessés, de même que le Palais impérial ou le […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *