Alors que la capitale française s’apprête à accueillir le monde entier pour les Jeux olympiques, figurez-vous qu’Adélaïde et moi avons arpenté les mêmes lieux et affronté les mêmes foules il y a tout juste 124 ans. Notre fils Auguste nous accompagnait, ainsi que notre gendre Jean. À mi-chemin entre deux guerres, l’humanité se rencontrait pour exposer ses savoir-faire et dresser le bilan d’un siècle. Et vous savez quoi ? Les Jeux olympiques avaient lieu au même endroit, au même moment !
Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
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De Strasbourg à Paris en 1900
Nous voyagions souvent, je vous l’ai déjà dit. Mais, du temps allemand, il était nettement plus aisé de se déplacer vers le reste de notre nouveau pays ou la Suisse, que vers la France. Oh, ce n’était pas impossible. Nous avions visité Fontainebleau en 1898, par exemple. Mais trop de chicaneries administratives visaient à nous en dissuader. L’Exposition universelle de Paris a été une formidable opportunité, facilitant un déplacement que le train rendait très envisageable.
Un peu moins de 9 h de trajet pour arriver à la très belle Gare de l’Est. Cela vous paraît énorme, je m’en doute… Mais, quand j’étais enfant, on aurait compté plus de deux jours de malle-poste.
Nous logions au Grand-Hôtel, à côté de l’opéra de monsieur Garnier. Et nous étions, ma foi, plutôt bien traités. Je crois que, de vos jours, l’établissement s’appelle l’Intercontinental.
L’Exposition Universelle
Nous sommes arrivés à Paris le mardi 22 mai. Avec pour mission d’envoyer régulièrement des cartes postales à Jeanne et à René, nos petits-enfants, pour leurs collections. Et, bien sûr, de découvrir toutes les merveilles promises par la manifestation.
Nous ne passions que quelques jours à Paris. Impossible de tout voir, tellement les sites étaient immenses. Comme architecte, j’étais évidemment avide des nouveaux bâtiments construits pour l’occasion, mais aussi des pavillons des nations, véritables manifestes des particularismes de chaque culture.
Nous voulions aussi explorer quelques-unes des spectaculaires « attractions » qui donnaient parfois à l’ensemble un air de fête foraine luxueuse et cosmopolite.
Entre deux guerres
Il s’était écoulé moins de trente ans depuis que l’Allemagne avait sévèrement battu la France, en lui arrachant ses deux « chères provinces »… Revenir dans notre ancienne patrie, notre patrie de cœur, et voir comment notre nouvelle patrie s’y exposait, voilà qui ne manquait pas d’intérêt. D’un intérêt un peu amer et cynique à vrai dire.
Notre France semblait avoir fait son deuil de l’Alsace et de la Moselle. Par l’Exposition, elle manifestait son prestige et la grandeur de son Empire colonial. L’Allemagne de Guillaume II, qui avait échoué à organiser une exposition aussi grandiose à Berlin en 1896, voulait affirmer les progrès de son industrie.
Les deux puissances européennes dialoguèrent et échangèrent plus que jamais lors de l’Exposition. Mais nous, Alsaciens ou Lorrains, quelle était notre place ?
Strasbourg à l’Exposition universelle
La publicité est un peu flatteuse ! La version parisienne de notre belle maison Kammerzell n’était pas directement en front de Seine, mais derrière une rangée d’édifices. Mais, effectivement, voir sur le même plan la tour Eiffel et cette maison alsacienne était saisissant, émouvant, un peu déchirant aussi.
Léon Boll, le journaliste francophile originaire d’Eguisheim, avait imaginé et porté ce projet sur ses fonds propres. L’architecte Albert Galeron était l’auteur de cette copie grandeur nature, destinée à promouvoir la gastronomie et les vins alsaciens, dans un restaurant de 200 couverts. Malgré le grand succès du restaurant, l’opération fut un désastre financier pour Léon Boll. D’autant que le trésorier s’envola avec la caisse !
Charles Spindler et Henri Loux, amis de Boll, assurèrent la promotion. Au milieu de l’éclatante démonstration de force des deux grandes puissances qui se la disputaient, c’était un des rares moyens pour l’Alsace d’exister à l’Exposition. Nous étions alors en plein retour à l’identité alsacienne, oubliés d’une France devenue anticléricale, noyés dans une Allemagne qui nous déniait notre autonomie et ne cherchait qu’à prouver notre germanité.
Charles Spindler était d’ailleurs un des très rares artisans alsaciens à exposer, avec notamment un remarquable salon de musique, avec son piano en riche marqueterie.
Une exposition d’attractions
Vous vous rappelez ? Lors de notre Exposition industrielle et commerciale à l’Orangerie, en 1895, une partie aujourd’hui disparue du parc était réservée aux « attractions ». À Paris, il y en avait partout, de toutes sortes !
Notre maison Kammerzell était adossée au «Cinéorama», une salle de projection panoramique… qui ne fonctionna jamais ! La grande roue de l’avenue de Suffren m’attirait bien, mais Adélaïde ne voulait même pas en entendre parler.
Avec un sourire en larmes, je me souviens des petits cris que ma chère épouse poussait à l’idée de monter sur le fameux trottoir roulant. Elle a brièvement osé le couloir à petite vitesse, mais jamais plus ! La vitesse lente correspondait au pas normal, un peu plus de 4 km/h. Mais la vitesse rapide était quand même deux fois plus élevée !
Bien sûr, n’avons pas pu tout essayer, tout voir, tout tenter. N’oubliez pas, s’il vous plaît, que j’avais déjà 72 ans ! Mais il y avait de quoi être fasciné par le Maréorama, qui simulait un voyage en mer, avec mouvement, vent, embruns…
Ou encore le spectacle calme et reposant du système solaire projeté dans le Grand Globe Céleste, aussi époustouflant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Et puis cette tour Eiffel, datant de la précédente Exposition, objet non identifié pour un architecte, mais dont les proportions m’attiraient mystérieusement…
De somptueux palais
Cela n’étonnera personne, les édifices construits spécialement pour l’Exposition m’intéressaient particulièrement. Le Grand Palais des Beaux-Arts, inauguré trois semaines avant notre visite, et qui remplaçait l’ancien palais de l’Industrie, était un objet architectural fascinant. Cette immense verrière déversant des flots de lumière dans la grande nef, quelle prouesse ! Adélaïde et moi étions loin d’imaginer qu’un jour, cet espace majestueux accueillerait des épreuves d’escrime….
J’avoue avoir été moins emballé par le Petit Palais, que je trouvais inutilement surchargé. Mais c’était sans doute l’apogée du style « Beaux-Arts » qui voulait cela. Et encore, comparé à certains édifices éphémères, on était presque dans la sobriété !
Les perspectives dessinées, depuis les Invalides, avec le nouveau pont Alexandre III, procuraient un sentiment de gigantisme ! Tout à coup, notre axe impérial strasbourgeois me semblait tout petit…
Gigantismes éphémères
On aurait eu du mal à manquer la monumentale porte n° 29 ! Je n’ai pas pu m’empêcher d’en envoyer une carte à Jeanne. Et je vous ai mis le verso pour que vous puissiez le constater : lorsqu’une lettre partait de Paris le matin, elle arrivait à Strasbourg le soir !
Là, nous étions dans le gigantisme multicolore, spectaculaire et lumineux ! La nuit, cette structure qui me faisait penser à un éléphant s’illuminait de milliers de lumières électriques.
Pour moi, c’était la manifestation des limites de ces Expositions universelles. Vous savez mon inaltérable francophilie. Mes chers anciens compatriotes, par ce genre de démonstration, en faisaient trop à mon goût. Après tout, le rayonnement culturel de la France, à nul autre pareil dans le monde, aurait pu se suffire à lui-même. Je sais, je ne suis qu’un vieux râleur.
Quant au Palais de l’Électricité et au Château d’Eau, au fond du Champ de Mars, il fallait les voir la nuit pour en admirer les jeux d’eau et de lumière. Sans trop s’attarder sur l’architecture quelque peu délirante. Mais n’oubliez pas que l’électricité était encore une chose récente pour nous. En dompter ainsi toutes les possibilités jusqu’à créer une telle féerie, voilà qui réveillait l’âme d’enfant d’un vieux ronchon alsacien !
Les pavillons nationaux
Quarante-trois pays avaient fait construire des pavillons révélateurs de leurs particularismes architecturaux. Le long de la Seine, là où bientôt se déroulera la cérémonie d’ouverture de vos Jeux Olympiques, du pont des Invalides au pont de l’Alma, c’était comme un magasin de jouets pour un architecte !
Il y avait de tout, dans tous les styles. Au-delà de l’intérêt architectural, on pouvait lire des messages, des manifestes dans les formes choisies, l’ampleur donnée à la construction. Ainsi, le « Kremlin du Trocadéro », comme on surnommait le pavillon russe, avait dû prendre place près du palais de Chaillot en raison de sa taille colossale.
À l’inverse, les Finlandais, alors sous la domination du tsar, avaient pu exprimer leur culture et leur identité au travers d’une très jolie réalisation.
Le pavillon de l’Allemagne
Nous étions Allemands depuis près de 30 ans. Même si nous prenions bien soin de parler français à Paris, comme nous le faisions en famille ou dans nos correspondances. Mais il fallait bien s’intéresser à la prestation de la puissante délégation de « notre » pays.
Sur le plan architectural, que dire ? C’était allemand. Certes. On aurait dit notre défunte Pfalz, surmontée d’une tour tarabiscotée, et ornée d’oriels, tourelles, clochetons et flèches, dans le plus pur style « néo-Renaissance » qui me faisait tant sourire à Strasbourg, au travers de certaines villas réalisées par mes collègues allemands.
Il s’agissait d’exprimer à la fois la richesse du XVIe siècle germanique et la « renaissance » de l’Empire allemand après 1871. Dans le bâtiment étaient exposées les collections de Frédéric II de Prusse, de même que des livres montrant l’excellence du pays dans le domaine.
Et il faut avouer que le Führung du Reich fut reconnu dans bien des secteurs, notamment dans celui de l’industrie. Même la presse parisienne le reconnaissait :
Ce n’est pas d’hier que ceux qui ont des yeux pour voir savent que l’Exposition universelle de 1900 est l’apothéose de l’industrie allemande. Au premier coup d’œil, on voit que nos voisins ont travaillé de toutes leurs forces à la réussite de leur exposition. […] Chacun a donné le meilleur de lui-même – depuis l’Empereur jusqu’à l’ouvrier –, et tous se sont montrés enthousiastes pour apporter la preuve de l’unité nationale. La conséquence de cette extraordinaire énergie est un succès gigantesque.
Emile Gauthier dans le Figaro
Le Panorama, disponible sur Gallica, regroupant un grand nombre de photos de l’Exposition Universelle, à feuilleter sans modération.
Vous pouvez aussi retrouver le Panorama ici : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53023926s
Nous sommes rentrés à Strasbourg le 27 mai, bien fatigués et fourbus, du moins Adélaïde et moi. Les « jeunes », Jean et Auguste avaient l’énergie et l’enthousiasme de leur âge. Ils ont même regretté de ne pas avoir le temps de s’intéresser aux épreuves sportives organisées parallèlement à l’Exposition pour la IIe Olympiade ! Mais c’était compliqué, décousu et le sport représentait une passion nouvelle qui ne me parlait guère… Je vous en dirai un mot la semaine prochaine.
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
Faites de votre vie,
de leur vie, un livre !
Philippe Alexandre – Les Allemands à l’Exposition universelle de Paris en 1900 ou l’expérience d’un patriotisme mal compris : https://journals.openedition.org/rg/309
Le blog de Claire, passionnée d’histoire et d’histoire des arts : https://www.amusidora.fr/
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