L’ancienne gare de Strasbourg

La silhouette élégante de l’ancienne gare de Strasbourg a constitué mon horizon pendant les trente-quatre dernières années de ma vie. D’abord voisine de l’ancienne Halle aux Blés, elle a ensuite partagé le panorama qui s’ouvrait devant la maison familiale avec la grande Synagogue. Mais elle n’a accueilli des trains que peu de temps, avant de devenir la halle couverte où nous aimions chercher des provisions. C’était si pratique ! Il existe peu d’ilots, à Strasbourg, qui se soient autant transformés que celui-ci. Mais je ne suis pas certain d’aimer ce que votre époque en a fait…

Antoine Wendling

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.

Le Marais Vert

Le Marais Vert, c’est tout ce secteur situé entre les faubourgs de Pierre et de Saverne, intégré à l’enceinte de la ville à la fin du XIVe siècle, mais resté campagnard et miséreux, un peu à l’écart. La construction de quais de part et d’autre du canal des Faux-Remparts en 1837, ainsi que de plusieurs ponts, allait tout changer.

Depuis la construction de la Halle aux Blés en 1829, la vocation industrielle et commerciale du Marais Vert n’a cessé de s’affirmer. Dans un quartier déjà parsemé d’entrepôts, de hangars, de fabriques et de remises en tous genres, l’usine à gaz construite en 1839 l’a confirmée. La construction de la première gare intra-muros de Strasbourg en a été le couronnement… éphémère !

L’arrivée du train à Strasbourg

Station de chemin de fer de Koenigshoffen
La station de chemin de fer de Koenigshoffen, 1841

Evidemment, vous ne pouvez plus vous en rendre compte… mais l’arrivée du train à Strasbourg a été une révolution. J’avais une douzaine d’années quand une première ligne de chemin de fer a relié le sud de l’Alsace à la capitale régionale. Mais hors de question, à l’époque, de percer les fortifications pour laisser entrer les rails en ville. Donc la première station était à Koenigshoffen. Je m’en souviens bien : nous avions fait l’excursion depuis Willgottheim pour voir ces nouveaux monstres de

fer, crachants et fumants, que mon maréchal-ferrant de papa regardait avec suspicion. Les engins diaboliques allaient-ils un jour lui ôter son gagne-pain ? Ce débarcadère “provisoire” dura quand même une dizaine d’années, jusqu’à la compagnie Strasbourg-Bâle s’entende avec sa jeune homologue Strasbourg-Paris et les Ponts-et-Chaussées pour l’implantation d’une gare commune en ville.

La nouvelle gare de Strasbourg

Après de multiples atermoiements et tiraillements entre les parties concernées, on prit enfin la décision de faire arriver les lignes de chemin de fer en ville, à côté de la Halle aux Blés, face au canal des Faux-Remparts. Le prince Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République, procéda à l’inauguration en grandes pompes le 18 juillet 1852.

Inauguration de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Paris, le 18 juillet 1852
Inauguration de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Paris, le 18 juillet 1852

Ce fut une belle fête, vous pouvez me croire ! La ville perçait enfin ses défenses militaires à l’intérieur desquelles son étroitesse se révélait de plus en plus. Ces dames en belles toilettes colorées côtoyaient la modernité, au risque d’en ressortir quelque peu noircies ! Les trains arrivaient en ville, mais en fait, contrairement à ce que laissait paraitre la publicité de l’époque, le bâtiment destiné à accueillir les voyageurs n’était pas encore sorti de terre… L’architecte Jean-André Weyer ne l’acheva qu’en 1854, après avoir construit la Manufacture des tabacs à la Krutenau.

J’ai beaucoup aimé cet édifice très simple et de bon goût. Il parait qu’on devait le dessin de la façade, de style Louis-Philippe, à Schwilgué, le fils du concepteur de l’horloge astronomique de la Cathédrale.

Ancienne gare de Strasbourg, quai Kléber
La “nouvelle” gare de Strasbourg, vue depuis le quai de Paris

Sur cette gravure, réalisée depuis le quai de Paris, on aperçoit tout à gauche une partie de la Halle aux Blés. On se rend compte de l’ensemble très épuré qui composait alors le quai Kléber. J’aimais vraiment ce style. Il me guida dans toute ma carrière d’architecte.

Arrière de l'ancienne gare de Strasbourg
L’arrière de la gare, avec les lignes voyageurs à gauche, marchandises au centre, et les entrepôts de la Halle aux Blés à droite.

Le fantôme du marché couvert de Strasbourg

Las, la nouvelle gare ne servit de gare que moins de trente ans… Pourtant, après le bombardement du siège de 1870, la reconstruction fut rapide. Mais, pour la nouvelle administration allemande, cette configuration en cul-de-sac n’offrait pas suffisamment de perspectives d’avenir.

Alors, dès la construction de la nouvelle gare à la porte Nationale, en 1883, les trains de voyageurs désertèrent notre horizon. Mais la mutation décidée par la suite n’était pas pour me déplaire ! La désormais “ancienne gare”, cédée à la Ville, se peupla d’estaminets, de magasins et d’un marché couvert qui fit nos délices. Par contre, les voies restèrent en place. Elles permettaient notamment de desservir le nouveau marché, ou encore de connecter le réseau de tramway suburbain à destination de Westhoffen, Truchtersheim ou Ottrott.

L'ancienne gare de Strasbourg transformée en marché couvert
L’ancienne gare de Strasbourg transformée en marché couvert

Détail amusant : juste avant 1870, des strasbourgeois avaient adressé au maire une pétition réclamant la couverture d’une partie du canal des Faux-Remparts, entre le faubourg de Saverne et celui de Sébastopol, afin d’y installer un marché couvert. Ce projet, qui n’avait jamais eu de suite pour cause de guerre, trouvait là une postérité inattendue.

Tantôt sur le quai Kléber, plus souvent dans la rue de Sébastopol, le marché aux puces ajoutait encore une touche de pittoresque et de convivialité à notre quartier. On y chinait parfois des choses surprenantes, avant d’aller boire une bière bien fraiche chez Diebold et de passer prendre le poisson frais du vendredi chez Mathiss.

La destruction de l’ancienne gare

Je me suis laissé dire que votre époque était un peu plus chaude que la mienne… Mais quand même, Strasbourg reste une ville froide, non ? Raison pour laquelle elle comptait jusqu’à trois marchés couverts, juste dans la Grande-Île, de mon temps. En plus de l’ancienne gare, il y avait la Markthalle de l’Ancienne Douane et les halles couvertes des petites boucheries, derrière l’Aubette. Et à votre époque ? Plus rien ! Vous devez aller jusqu’au Neudorf ou au Marché-Gare pour trouver un marché couvert…

Ma petite fille Jeanne a été consternée, dans ses vieux jours, par la démolition de l’ancienne gare en 1974. Elle avait déjà vu s’élever l’horrible cube noir de la Caisse d’Epargne en 1972, derrière l’emplacement de l’ancienne synagogue. Synagogue dont elle avait assisté à l’incendie en 1940. Et maintenant, depuis ses fenêtre, elle voyait les engins de chantier raser le marché couvert qu’elle aimait tant parcourir…

Travaux de destruction de l'ancienne gare de Strasbourg
Travaux de destruction de l’ancienne gare en 1974

Et pour construire quoi à la place ? Une verrue architecturale, un amoncellement informe de cubes de béton que tout le monde trouve hideux…

Et donc, il n’y a toujours pas de marché couvert au centre de Strasbourg. De temps à autre ressurgit l’idée d’en implanter un quelque part… mais à force, c’est un peu comme le fameux monstre du Loch Ness : on en parle beaucoup, on ne le voit jamais. Récemment, il en a été question au moins pour les deux bâtiments ci-dessous. Ce qui aurait racheté quelque peu leur monstruosité…

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

La page Archi Wiki sur l’ancienne gare : https://www.archi-wiki.org/Adresse:Ancienne_gare_de_Strasbourg_(Strasbourg)

10 réponses à “L’ancienne gare de Strasbourg”

  1. Avatar de Jee Tee
    Jee Tee

    Beau condensé d’histoire ferroviaire de Strasbourg

  2. Avatar de Arnaud Becker
    Arnaud Becker

    C’est à contrecœur que j’avais démoli cette magnifique bâtisse , je n’avais que 24 ans et c’est ma machine que l’on aperçoit sur la photo.
    C’est le premier adjoint qui était, selon les rumeurs d’époque, le principal responsable de cette démolition, celui que le trotskiste, Monsieur Welchinger, restaurateur à l’ancienne gare, appelait Monsieur 10%.
    Le même sort etait malheureusement réservé à la Maison Rouge place Kleber. J’avais refusé de répondre à l’appel d’offre.
    La ville a été terriblement défigurée sous la gestion du maire Pflimlin et son premier adjoint, Monsieur Baillard.
    Il est regrettable, voire scandaleux, que le service des Monuments Historiques n’ait pas fait son travail.

  3. […] que tout a commencé à s’accélérer à mon époque. Nous avons déjà évoqué ensemble l’arrivée du train à Strasbourg. Grâce à lui, onze heures suffisaient pour rallier Paris depuis Strasbourg, alors qu’il […]

  4. […] et enfin la ruelle Marbach. En 1833, il fallait ouvrir une voie de communication entre la nouvelle Halle aux Blés du Marais Vert et la place d’Armes (actuelle place Kléber). La Ville racheta donc les ilots […]

  5. […] L’ancienne gare du Marais Vert […]

  6. […] avoir évoqué, avec une pointe de nostalgie, l’ancienne gare du quai Kléber dont il appréciait l’architecture, Antoine Wendling explique la reconstruction du quartier […]

  7. […] rue de la Mésange, construit par Jean-André Weyer en 1850. Ses ouvrages suivants seront l’ancienne gare et la manufacture de […]

  8. […] Désormais, donc, les maisons qui bordent les quais ont les pieds au sec. Parce que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les quais sont très peuplés. En tout cas le quai Desaix et le quai de Paris. Non loin de Saint-Pierre-le-Vieux, beaucoup de maisons canoniales donnent sur l’eau. Sur le quai de Paris, le bel hôtel de Neuwiller s’entoure d’établissements accueillant les voyageurs de la gare du Marais Vert. […]

  9. […] En plein service militaire au 5e Régiment d’Artillerie tout proche, Antoine Wendling assiste à la pose de la première pierre. Il évoque l’ingénieur Eugéne Rolland qui, à Strasbourg, étrenne un nouveau plan, prototype des futures manufactures de tabacs du monopole de l’État. Témoins du passage de l’artisanat à l’industrie, le nouvel édifice monumental doit permettre l’installation de machines comme les torréfacteurs dont Rolland est l’inventeur. Ce dernier confie la construction elle-même à l’architecte Jean-André Weyer, l’auteur de la gare du Marais Vert. […]

  10. […] dont j’ai déjà dit tout le bien que je pensais de lui : Jean-André Weyer. On lui devait la gare du Marais Vert (même si certains le contestent), ou la Banque de France, celle de mon époque, à la place […]

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