Le siège de Strasbourg en 1870 (3)

Un mois que le siège a commencé. Marie a deux semaines. Les deux premières semaines de sa vie passées sous le bruit des explosions et dans la crainte continuelle qu’une bombe finisse sur notre pauvre maison. Tant de civils sont déjà morts, tant d’immeubles et de bâtiments officiels sont en ruine tout autour de nous…

La percée des fortifications

Au matin du 24 septembre, après une nouvelle nuit de cauchemar. Le faubourg de Pierres n’est plus qu’un champ de ruines ; plus un seul immeuble, de part et d’autre de la rue, n’est intact. Plus une seule famille ne peut y vivre… On dit qu’au faubourg National, un mur s’est effondré, tuant un enfant dans son lit. Quand donc s’achèvera enfin cette horreur ?

Le 25, le pilonnage des fortifications de la porte de Pierres continue. Malgré les héroïques artilleurs français et leurs mortiers désuets, les derniers bastions de part et d’autre de la porte de Pierres sont en difficulté. Lorsque les Allemands pratiquent une brèche dans celui de gauche, c’est le début de la fin.

Un drapeau blanc sur la cathédrale de Strasbourg

La nuit du 25 au 26 septembre, sur tout le front nord des fortifications, de la porte des Pêcheurs à la porte Nationale, c’est un dernier déluge de feu. Les assauts dans les brèches pratiqués autour de la porte de Pierres sont repoussés, mais pour combien de temps ? Tout près, quatre malheureux périssent dans leur maison de la rue du Bain-aux-Plantes écrasée par une bombe. Dans le même temps, six morts et douze blessés au faubourg de Saverne. Nous sommes épargnés, mais pour combien de temps encore ?

Le 27 septembre, au quarante-cinquième jour de terreur, nous n’espérons plus rien. Nous savons qu’une immense armée peut à tout moment s’enfoncer dans les remparts défoncés, derrière lesquels quelques milliers de braves résistent encore. À 5 heures du soir, grand silence… On entend des gens sortir dans la rue. Je suis le mouvement, je lève les yeux, comme tout le monde… un grand drapeau blanc flotte sur la cathédrale.

Général Jean-Jacques Uhrich - Strasbourg siège 1870
Jean-Jacques Uhrich

La foule se transporte à l‘Hôtel du Commerce où siège la municipalité. Le maire Kuss passe, tête baissée, visage fermé. On file à la Préfecture. La population ne veut pas croire à l’inéluctable défaite. Mais le préfet Valentin la confirme : “La résistance est impossible, il faut capituler.” Le même jour, pour éviter le bain de sang que causeraient des combats dans la ville, le général Uhrich demande le cessez-le-feu à son homologue allemand von Werder.

General August von Werder - Strasbourg siège 1870
August von Werder

Le bilan du siège de Strasbourg

Au sortir de ce cauchemar, les autorités de la ville peuvent enfin dresser un bilan terrible :

  • 261 civils ont été tués et plus de 1 000 sont blessés ;
  • Près de 400 soldats français ont donné leur vie pour défendre la ville et la patrie, plus de 2 000 sont blessés ;
  • Plus de 200 000 obus et bombes sont tombés sur Strasbourg, ce qui représente 4 100 tonnes de métal ;
  • 10 000 habitants sans abri ;
  • 500 maisons ou immeubles détruits ou incendiés.

Strasbourg occupée

Le 28 septembre, la garnison française part en captivité sous nos yeux embués. Qu’ils ont été braves nos soldats, cinq fois moins nombreux que les ennemis… Et comme il est douloureux de les voir s’en aller ainsi.

Dès le 1er octobre, efficacité toute prussienne, le service régulier des postes fonctionne. Les journaux peuvent à nouveau paraître, dès lors qu’ils ne publient pas de “discussion politique”.

Une commission et des sous-commissions, dont je fais partie, évaluent les dommages subis par la ville. Le gouvernement allemand la dédommagera effectivement à hauteur de plus de 50 millions de francs pour financer les réparations publiques et privées, c’est-à-dire plusieurs milliards de vos euros.

Strasbourg annexée

Fin octobre, les Allemands assiègent Sélestat qui capitule à son tour. Cinquante morts civils rejoignent nos pauvres martyrs. Après le chute de Neuf-Brisach le 11 novembre, l’Alsace est sous la botte prussienne.

Le 20 janvier 1871, le gouvernement français de défense nationale demande l’armistice. Seules les places de Bitche et de Belfort ne sont pas tombées.

Le 8 février, nous votons massivement aux élections législatives. Notre maire, le Docteur Kuss, est élu député. Le traité de paix en négociation entre les deux pays comprend la cession de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à l’Allemagne. Les vingt-deux députés de nos provinces, malgré leurs différences politiques, protestent devant l’Assemblée nationale réunie à Bordeaux :

Les représentants de l’Alsace et de la Lorraine ont déposé, avant toute négociation de paix, sur le bureau de l’Assemblée Nationale, une déclaration affirmant de la manière la plus formelle, au nom de ces deux provinces, leur volonté et leur droit de rester françaises. Livrés, au mépris de toute justice et par un odieux abus de la force, à la domination de l’étranger, nous avons un dernier devoir à remplir. Nous déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans notre consentement.

Protestation de Bordeaux, 1er mars 1871

Nous sommes consternés, abandonnés par la France à laquelle nos pères et grand-pères ont donné leur sang. Notre député maire, Emile Kuss, succombe à une crise cardiaque à l’annonce du vote. La ville célèbre des obsèques émues à son dernier maire français.

Strasbourg, capitale d’un Reichshland

Les annexés en Alsace par Albert Bettannier (1851-1932), 1911 – Collection du Musée de la Cour d’Or (Musée de la guerre de 1870 et de l’Annexion (Gravelotte)

Nous voici donc citoyens du nouvel empire allemand. Pourquoi n’avons-nous pas fait partie des optants pour la nationalité française ? Pour aller où ? Avec quels moyens ? Nous étions issus d’un milieu modeste, sans fortune familiale. Nos parents s’en étaient déjà allés, mais Adélaïde avait de nombreux frères et sœurs. La petite dernière, une autre Marie, n’avait que 25 ans et allait se marier. Mon frère ainé était toujours à Willgottheim, mes deux grandes sœurs m’avaient donné de nombreux neveux et nièces. Nos enfants avaient vécu assez d’épreuves avec la guerre pour leur imposer encore en plus un déracinement. Ma situation semblait stable dans l’immédiat…

Alors autant voir ce que nous réserverait la nouvelle administration. Je ne savais pas qu’allait s’ouvrir une période architecturalement passionnante, politiquement difficile, culturellement éprouvante.

Je ne pouvais pas imaginer non plus que mon petit-fils servirait pour une guerre sous l’uniforme allemand, puis pour une autre comme officier français. Bref, nous étions Alsaciens.

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

Sur nos sentiments face à l’annexion allemande, l’excellent article d’Aurélien Duchêne : https://aurelien-duchene.fr/comment-les-alsaciens-ont-veritablement-vecu-la-domination-allemande-1871-1918/

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