,

Le Vieux-Marché-aux-Poissons

Si vous suivez mes « aventures », vous savez que ma petite famille a un temps habité place Gutenberg. Nous avons récemment évoqué ensemble la rue des Grandes Arcades. Il est normal que nous partions faire un tour dans l’autre sens, vers le sud, par la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons. Au XIIe siècle, on l’appelait « Statio carnificum, juxta piscatores » : « Étal des bouchers, à côté des poissonniers ». Vous avez tout le programme de cette artère commerciale majeure, s’ouvrant entre les anciennes boucheries en l’ancienne douane, lieu ancestral d’échange de denrées.


Antoine Wendling
Antoine Wendling

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.


Strasbourg - rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
La rue du Vieux-Marché-aux-Poissons – Carte ancienne

Cette photo représente assez bien ce que j’ai connu de cette belle rue sur la fin de ma vie. Mais vous allez voir qu’à notre installation place Gutenberg, elle avait un aspect assez différent, moins policé… Et, si vous êtes un peu observateur, vous remarquez d’emblée certains bâtiments qui n’existent plus de vos jours. Dans ces quelques lignes, j’essaierai, avec mon arrière-petite-fille Nicole, de vous montrer simplement ces grandes évolutions, sans rentrer dans le détail et l’historique de toutes les constructions.

Le pont du Corbeau

Strasbourg - Pont du Corbeau - photo Blumer
Le pont du Corbeau vers 1880 (Photo Blumer)

À mon époque, il ressemblait à ça. Un pont à structure en fonte, assez étroit, construit en 1841 par la société De Dietrich, comme le pont Saint-Thomas tout proche, que vous pouvez encore admirer.

Strasbourg - Pont du Corbeau - Carte ancienne
Le pont du Corbeau (dépôt Vincent Kauffmann)

Je ne vais pas vous refaire l’historique du nom de ce pont, qui n’a rien à voir avec le sombre volatile. Le “Corb”, au Moyen-Âge, était le charmant employé chargé de crocher dans les cadavres des suppliciés plongés dans l’Ill, pour les ramener à la berge et les évacuer.

Avant 1841, le pont était simplement en bois.
Mais, avec l’extension sud de la Neustadt et surtout le développement du réseau de tramways, il fallut prendre la décision de construire un pont plus large et plus robuste. C’est Neckelmann, à qui l’on doit aussi le Landesausschuss, la Bibliothèque universitaire et l’église catholique Saint-Pierre-le-Jeune, qui s’en occupe en 1890. Il orne les quatre coins de son ouvrage d’espèces de tourelles en grès surmontées de cages en ferronnerie… Peut-être pour rappeler les cages dans lesquelles les condamnés étaient précipités dans les flots en des époques moins augustes ?

L’ancienne douane

Strasbourg - Ancienne douane en 1855
L’ancienne douane en 1855, avec ses grues de déchargement à gauche (photo Charles Winter)

Tel est à peu près l’état dans lequel j’ai connu ce vénérable bâtiment. Il ne s’agit pas ici d’en retracer la riche histoire. Depuis le XIVe siècle, il était le filtre d’entrée et de sortie de la plupart des marchandises arrivant à Strasbourg. Sur le plan architectural, il n’a cessé d’être transformé, agrandi, remanié…

Ancienne douane - Plan rez-de-chaussée
Plan du rez-de-chaussée de la douane en 1840 (Archives de l’Eurométropole)

Le plan ci-dessus, datant de 1840, montre comment les espaces ont été utilisés pendant quatre siècles. Après 1840 et le transfert des activités douanières vers le Rhin, la vaste halle sert de dépôt de vin. Mais dans les années 1860, l’édifice est dans un triste état. Sa transformation en halle couverte en 1870 a permis sa préservation. Sur la photo de gauche ci-dessous, vous voyez néanmoins l’état de son pignon. Au passage, notez les maisons situées juste à droite de l’ancienne douane. Et puis celle, un peu plus loin, surmontée d’une tourelle. Et cherchez-les sur la photo de droite… Nous en reparlerons.

Rue du Vieux-Marché-aux-Poissons - 1870
Entrée de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons en 1870
(photo Winter)
rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Le même endroit en 2024 (photo AW)

En 1897, cet horrible pignon borgne est raboté en vue des travaux d’élargissement du pont. Et après une solide cure de jouvence, la Kaafhus devient finalement la halle aux poissons de la ville.


L’ancienne Grande Boucherie

Strasbourg - Grande Boucherie - Petitville
La Grande Boucherie – Peinture d’Eugène Petitville en 1840

Quand j’étais petit, la grande boucherie ressemblait à cette toile. On peinait quelque peu à distinguer le beau bâtiment Renaissance, en trois corps entourant une cour centrale. De fait, cette dernière était encombrée de baraquements anarchiques où l’on découpait les carcasses, avant d’en jeter directement les déchets dans l’Ill. Au passage, vous voyez là l’ancien pont en bois.

Pont du Corbeau et Boucherie - Winter
Le pont du Corbeau et la boucherie en 1852, une des plus anciennes photos de Charles Winter
Elévation de la grande boucherie en 1858
La grande boucherie – Elévation de 1858 (Archives)

La boucherie arrêta ses activités en 1859. Votre serviteur, comme directeur de travaux pour la Ville, participa à la destruction des verrues qui enlaidissaient le bel édifice Renaissance. Sans doute en devait-on le plan sobre et harmonieux à Hans Schoch, l’architecte de la Neuhaus, place Gutenberg. Je trouvais la petite tourelle d’angle particulièrement séduisante.

Bibliothèque et Musée

Jusqu’à la transformation de l’ancienne douane en marché couvert en 1870, c’est l’ancienne boucherie qui joua ce rôle. Dans la cour sous les auvents que vous apercevez sur l’élévation de 1858, on vendait le poisson. Il était bien pratique, ce marché, à deux pas de notre appartement de la place Gutenberg !

En 1870, vous le savez, la bibliothèque municipale du Temple Neuf fut ravagée par les bombardements prussiens. C’est ici, au premier étage, que Rodolphe Reuss commença à la reconstituer, avec les dons affluant de partout. Il habita même sur place pendant un temps.

Il fut ensuite question, en 1896, de réinstaller dans l’ancienne boucherie une halle couverte. Le projet allait jusqu’à couvrir la cour de choses assez horribles. Il fut heureusement abandonné.

Strasbourg - Musée historique
L’actuel musée historique (photo AW)
Projet halle grande boucherie Strasbourg
Projet de transformation de la grande boucherie en halle couverte, 1896 (Archives de l’Eurométropole)
Lieber - Guillaume II à Strasbourg
Visite de Guillaume II à Strasbourg (Huile de Max Lieber)

Finalement, en 1897, on commence à transformer l’édifice en Städtisches Kunstgewerbe-Museum, premier grand musée strasbourgeois du temps allemand. Rapidement appelé Hohenlöhe Museum, en hommage au gouverneur d’Alsace-Lorraine qui soutient financièrement le projet, il sera une des bases de votre Musée des Arts décoratifs. Guillaume II viendra même l’inaugurer en grande pompe en 1899. Finalement, de ce lieu où l’on avait beaucoup donné la mort, devait renaître la Bibliothèque et naître plusieurs musées.

Le fantôme du Vieux-Marché-aux-Poissons

Rue du Vieux-Marché-aux-Poissons - 1780
Vue de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons vers l’ancienne douane en 1780,
la Mauresse à droite, au centre l’îlot des numéros 3 et 5 (BNUS)

En remontant la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons après l’ancienne douane, on tombait sur un îlot de constructions aujourd’hui disparues. Propriété de divers commerçants, il était constitué de deux maisons à pans de bois qui avaient un certain cachet. L’une d’entre elles abritait le fameux Gunzrott, « carrossier des rois », artisan attitré du roi de Bavière notamment.

Strasbourg - Rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
La même vue vers 1905, avec le nouvel immeuble

Le marchand de chaussures Georges Lienhardt les fit raser en 1900 et chargea les entreprises Wagner de construire à la place un immeuble d’un seul tenant… qui n’avait pas grand-chose à voir avec son environnement !

Elévation 3-5 Rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Elévation des 3 et 5 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons (J.M. Wendling)
Rue du Vieux-Marché-aux-Poissons - carte ancienne
Carte ancienne colorisée – Les 3 et 5 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons

En plus du commerce de chaussures, on y trouvait un dentiste… et le restaurant originalement nommé “Au Vieux Marché aux Poissons”.

L’îlot des 3 et 5 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, juste à droite de l’ancienne douane.
En 1870, sur le cliché de Winter, on distingue les anciennes maisons, rarement photographiées.


La Mauresse

Strasbourg - Brasserie de la Mauresse
Brasserie de la Mauresse (carte ancienne)

La rue qui séparait le curieux immeuble évoqué plus haut de la brasserie de la Mauresse s’appelait rue de l’Étal. On y trouvait donc cette vaste maison du XVIIIe siècle abritant le Poêle de la Corporation de la Mauresse septième corporation de la ville. Elle regroupait des savetiers, des sauniers, marchands de salaisons, de volailles, fruitiers, charretiers, ouvriers du tabac… On dit que son nom venait du propriétaire d’un immeuble précédent, un certain Mörlin, déformé en Mörin.

Brasserie de la Mauresse -  rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Ancienne brasserie de la Mauresse en 2024 (photo AW)

Quant au rez-de-chaussée, c’était le siège des Messageries, où convergeaient toutes les diligences jusqu’à l’arrivée du chemin de fer. Il devint ensuite un café, puis un restaurant. Quant au premier étage, de mon temps, il était encore une salle de spectacles assez courue. Les amateurs, notamment, pouvaient s’y produire et l’ambiance était chaleureuse.

Flâner rue du Vieux-Marché-aux-Poissons

Vous l’avez compris, avec toutes les institutions qui en bordaient l’entrée, la vie ne pouvait que palpiter dans cette artère menant au cœur battant de la Ville qu’était encore la place Gutenberg. Brasseries, cafés, commerces attiraient les notables comme les wackes, les bourgeoises accrochées à leurs enfants, leur servante tenant le panier de commissions.

Strasbourg - rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Deux notables devant le café de Montmartre (photographie anonyme publiée par P. et A. Felder)
Grand bi rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Un grand bi rue du Vieux-Marché-aux-Poissons vers 1880
(photographie anonyme publiée par P. et A. Felder)

Peut-être Camille et moi avons-nous ressemblé à ces beaux messieurs sur nos vieux jours, même si je n’ai jamais affectionné les prétentieux hauts-de-forme…

44 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Passants devant le 44 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, qui était alors une distillerie, avant d’abriter la corderie Weiss
44 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
La même adresse de nos jours, avec son enseigne surmontée d’un curieux fronton (photo AW)

Les joies du commerce

Je vous rappelle que Camille, mon beau-frère, possédait une affaire très appréciée à l’angle de la place Gutenberg et de la rue Mercière. Il connaissait donc à peu près tous les commerçants du secteur. Certains, comme la maison Netter, ne reculaient devant aucune publicité. Puisque le jeune Goethe, alors étudiant, avait passé quelques années dans ces murs, au n° 36, le filon méritait d’être exploité.

Strasbourg - Maison de Goethe
La maison où vécut Goethe (phoro Kraemer)
Netter - 36 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Publicité pour la maison Netter, “magasin populaire”, au 36 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
36 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons - Strasbourg
La même adresse en 2024 (photo AW)

Contrairement à ce que pourrait croire votre époque, qui a tendance à penser que tout était toujours mieux avant, mon ancien temps n’était pas toujours très soucieux de l’esthétique et de la préservation des bâtiments vénérables. Heureusement, les sociétés naissantes d’histoire locale allaient bientôt y mettre bon ordre.

Et, comme vous pouvez le voir, vous n’avez pas inventé la publicité ! En tout cas, personne ne pouvait ignorer en 1900 qu’Alfred Roth était dentiste… Quitte à défigurer ce très beau n° 40, pourtant remarquable comme nous le verrons tout à l’heure. Quant aux parapluies, ils mangeaient littéralement la façade étroite et typique du n° 42.

Strasbourg - 40-44 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Les numéros 44, 42 et 40 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, avec leurs enseignes

Évidemment, la proximité de la cathédrale servait aussi de carte de visite publicitaire. Mon cher beau-frère Camille Schauffler s’en servait autant que son voisin Charles Hopp. Sauf que ce dernier faisait fortune en fournissant les bottes des officiers allemands…

Publicité Camille Schauffler
Publicité pour le magasin très apprécié de mon beau-frère Camille Schauffler
Publicité Charles Hopp
Publicité pour le marchand de chaussures Hopp

Cafés et hôtels

Je rajoute cette petite partie à la suite du pertinent commentaire de Stéphane Sladek, à propos de deux immeubles dont je n’ai pas parlé.

C’est amusant… Au n°11 existait un des plus vieux cafés de la ville, celui des “Treize Cantons”, fondé au début du XVIIIe siècle. Son entrée principale était située rue des Tonneliers. Et de vos jours, après moult transformations et changements d’affectation, vous y trouvez de nouveau un café, mais qui n’a plus rien d’historique ou d’authentique ! Votre soif des franchises identiques partout dans le monde…

Strasbourg - 9 et 11 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Les numéros 9 et 11 avec, au rez-de-chaussée, une chaîne américaine de café (photo AW)
Strasbourg - 9 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
Le numéro 9 vers 1930 (photo déposée par S. Sladek sur Archi-Wiki)
Strasbourg - 9 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons
La façade du 9 donnant sur la place des Tripiers, reliée au 18 rue des Tonneliers (photo AW)

De mon temps, le numéro 9, juste à la droite de la Mauresse, abritait un débit de vin, tandis que le 11 était un magasin de vêtements. Mais monsieur Sladek nous rappelle que plus tard, dans les années 1920, les Lauer, sa famille maternelle, ont repris d’abord le 9 puis le 11 pour y ouvrir l’hôtel-restaurant de la Lorraine.

Plaisirs d’architecte

Elle était pourtant passionnante, cette rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, sur le plan de l’architecture ancienne. On y trouvait tous les exemples de maisons traditionnelles à colombages, d’autres de la Renaissance, de la période classique, parfois larges, souvent étroites de deux ou trois travées…

Colombages

8 rue du Vieux-Marché aux-Poissons
Le n° 8 (photo AW)
54 rue du Vieux-Marché aux-Poissons
Le n° 54, à l’angle de la rue Mercière
42 rue du Vieux-Marché aux-Poissons
Le n°42, surmonté de son curieux bulbe

L’extraordinaire maison du coin de la rue Mercière abritait la papeterie Lindauer, juste en face de chez Camille. Au moins, la boutique n’occupait pas la moitié de la rue comme de vos jours…

Renaissance

52 rue du Vieux-Marché aux-Poissons - Strasbourg
Le n°52 avec son oriel spectaculaire, ancien magasin des chaussures Charles Hopp, maison de naissance de Jean Arp (photo AW)

La magnifique maison du n° 52, celle du marchand de chaussures Hopp exposait tous les codes de la Renaissance tardive : pignon à volutes surmonté de pilastres, grand oriel à trois niveaux, fenêtres à meneaux encadrées de grès, arcades au rez-de-chaussée (qui permettent de remarquer un centrage… artisanal !) Par contre, le décor peint évoqué sur la réclame de Charles Hopp a disparu avec le temps.

Le n° 40, une fois dépassées toutes les enseignes qui en altéraient la vue, est un autre exemple de cette fin de la Renaissance. J’aimais beaucoup l’audace de ces enfilades de fenêtres à meneaux, formant presque des baies vitrées avant l’heure.

Mais c’est bien sûr le traitement de l’angle qui retient l’attention, avec son chaînage en besaces et ses niches ornées de sculptures, dont celle d’un légionnaire portant une balance, publicité plus subtile et esthétique pour un marchand autrefois installé céans.

40 rue du Vieux-Marché aux-Poissons
Le très beau n°40, maison de 1564 (photo AW)

Classique

Au n° 6, juste à côté de l’ancienne boucherie, celui que j’avais connu comme café « Au Grand Balcon » était désormais devenu le « Wiener Central Café ». C’est votre « Montmartre » actuel, je crois.

On disait alors qu’il s’agissait de plus ancien toit à la Mansart de Strasbourg, revisité à la sauce du cru, avec sa pente très haute et très raide.

Café Montmartre - Strasbourg
Le café Montmartre en 2024 (photo AW)
Wiener Central Café - Strasbourg
Le Wiener Central Café vers 1900
(dépôt de Joël Durand)

Et on ne compte pas, dans cette rue, les belles façades de grès rose de style Régence ou rococo, si élégantes, souvent ornées de mascarons de toutes sortes, têtes de femmes ou d’hommes plus ou moins énigmatiques.

Le n° 1, somptueux, était la maison qu’un marchand de vin, Jean-Michel Greiner, s’était fait construire en 1767. J’appréciais particulièrement la chaîne d’angle arrondie, alliée à ce vrai toit strasbourgeois en tuiles traditionnelles, mais à la Mansart, avec deux niveaux de lucarnes au-dessus du comble brisé. Un vrai petit palais !

Le bombardement de 1944

Nicole Siebert
Nicole Siebert en 1945

Je suis Nicole, l’arrière-petite-fille d’Antoine. Je suis née en 1927.
À la Libération, le 23 novembre 1944, j’ai couru au-devant des chars de Leclerc, Faubourg de Pierre… un des souvenirs les plus merveilleux de ma vie !

Mais avant cela, il avait fallu passer par les bombardements alliés à l’été 44. Celui du 11 août, particulièrement terrifiant, a laissé bien des ruines tout près de chez nous, rue du Noyer. Mais nous eûmes tôt fait d’aller voir les dégâts encore bien plus importants du secteur de la place Gutenberg.

Si la place Gutenberg, la rue des Hallebardes et les alentours avaient bien souffert, le bas de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons n’était pas épargné. L’ancienne douane n’était plus qu’une ruine fumante…

L’ancienne douane

Incendie ancienne douane août 1944
Incendie de l’ancienne douane, le 11 août 1944 (Archives)
Ruines de l'ancienne douane 1944
Ruines de l’ancienne douane, vues du Montmartre

Imaginez que ces ruines sont restées en l’état pendant près de 20 ans ! Ce n’est qu’en 1962 que la Ville vota la reconstruction de l’ensemble, en préservant ce qui pouvait l’être, sous l’égide de Robert Will, l’architecte en chef de la municipalité. On lui doit, à la même époque, la belle reconstruction de l’église Saint-Jean qui avait subi le même sort.

Plan reconstruction ancienne douane 1962
Elévation pour la reconstruction de l’ancienne douane en 1962, côté quai (Archives de l’Eurométropole)
Strasbourg - Ancienne douane
L’ancienne douane en 2024 (photo AW)

Le fameux fantôme du Vieux-Marché-aux-Vins

Paradoxe : on a reconstruit l’ancienne douane dont il ne restait plus grand-chose. Mais personne n’a jugé utile de retaper le fameux îlot des 3-5 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons.

Pourtant, à bien y regarder, le grand immeuble 1900 n’avait pas subi de très gros dégâts. Il faut croire que cette chose si incongrue dans cet environnement ne devait manquer à personne…
En tout cas, ça aère…

3 et 5 rue du Vieux-Marché aux-Poissons - Strasbourg
Immeuble des 3 et 5 rue du Vieux-Marché aux-Poissons après le bombardement du 11 août 1944 (J.-M. Wendling)

L’îlot des 3 et 5 rue du Vieux-Marché-aux-Poissons laisse désormais place… nette ! Au grand bonheur des brocanteurs qui exposent à cet endroit deux fois par semaine. Un peu plus loin, beaucoup d’arbres à la place de l’immeuble suivant…

Le fantôme des Tripiers

13-17 rue du Vieux-Marché aux-Poissons
En saillie, le n°13, abritant le restaurant “Au Pied de Boeuf”, puis le n°15 avec sa tourelle, et le n°17 (J.-M. Wendling)

Vous l’avez déjà vu sur beaucoup de photos, plus haut, cet immeuble en saillie, ainsi que le suivant, surmonté d’un clocheton. Ce sont les numéros 13, 15 et 17. Et grand-papa Wendling n’en a rien dit.

Il y avait là tout un pâté de maisons, délimité par la rue du Vieux-Marché-aux-Vins devant et celle des Tonneliers derrière, les ruelles des Tripiers et du Pied-de-Boeuf sur les côté.

En apparence, pas de gros dommages, n’est-ce pas ? Pourtant l’îlot avait été si fragilisé qu’il fut décidé de le raser entièrement.

C’est ainsi qu’est née, en 1957, une des places les plus récentes de la vieille ville, la place des Tripiers.

Vers la place des Tripiers - Strasbourg
L’arbre, au centre, symbolise bien l’espace occupé par le n°13 avant sa destruction (photo AW)
Strasbourg - Place des Tripiers
La place des Tripiers en 2024 (photo AW)

C’est très imparfait, notamment pour des raisons de zoom et de perspective. Mais la comparaison entre le plan-relief de 1752 et une vue Google Earth permet de comparer bien des permanences à trois siècles de distances.
L’ancienne douane était plus réduite, prolongée vers le pont par les bâtiments de l’auberge “Spanbett”.
La Pfalz et l’hôtel de la Monnaie, au bout de l’axe, ont disparu…


Et pour ne pas manquer les prochains articles, inscrivez-vous à la newsletter (ni publicité, ni partage de vos données personnelles) !

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

Frédéric Piton : Strasbourg illustré, 1855
Strasbourg, panorama monumental – G. Foessel, J.-P. Klein, J.-D. Ludmann et J.-L. Faure – Mémoire d’Alsace
Il était une fois… Strasbourg – Roger Forst – Coprur
C’était hier à Strasbourg – Pierre et Astrid Feder – Editions Le Chardon
Sept siècles de façades à Strasbourg – Elisabeth Loeb-Darcagne – I.D. l’Edition
Strasbourg 1878 à 1945 – Patrick Hamm – Editions du Signe
Merci à l’excellent site de Jean-Michel Wendling : https://maisons-de-strasbourg.fr.nf/
Toujours l’incontournable et précieux https://www.archi-wiki.org d’où viennent beaucoup de photos, notamment celles de Roland Burckel et de Fabien Romary
Le site des Archives municipales : https://archives.strasbourg.eu/

9 réponses à “Le Vieux-Marché-aux-Poissons”

  1. […] Découvrir l’article d’Antoine Wendling […]

  2. […] avons récemment parlé ensemble du Poêle de la Mauresse, dans la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, dont la salle de spectacle du premier étage accueillait volontiers concerts et spectacles […]

  3. Avatar de SLADEK Stéphane
    SLADEK Stéphane

    Entre la Mauresse (n°5 -7) et les bâtiments démolis après guerre (n° 13-15-17) ayant permis la création de la place des Tripiers, il y a les deux immeubles accolés (n° 9 et 11) que l’ on découvre dans plusieurs de vos documents sans qu’ils ne soient cependant cités !
    Ils furent la propriété de ma famille maternelle LAUER de 1920 à la fin des années 90, soit 3 générations qui y habitaient et y exploitaient le restaurant “de La Lorraine” bien connu des strasbourgeois et un petit hôtel !

  4. Avatar de Antoine Wendling

    Oubli réparé, vers le milieu de l’article ! Merci infiniment.

  5. […] en avons des « vieux marchés » à Strasbourg ! Après le « Vieux-Marché-aux-Poissons », après l‘évocation du « Vieux-Marché-aux-Grains » près des Grandes Arcades, du […]

  6. […] la Grande-Île, de mon temps. En plus de l’ancienne gare, il y avait la Markthalle de l’Ancienne Douane et les halles couvertes des petites boucheries, derrière l’Aubette. Et à votre époque ? […]

  7. […] grandissante de la corporation des bouchers et de son monopole sur la vente de viande, à la Grande Boucherie, leur suscita une concurrence. Elle accueillit des bouchers extérieurs et leur loua des petites […]

  8. […] Wendling et moi, nous vous avons déjà parlé de la rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, de l’ancienne Douane et des transformations subies à la suite de ce bombardement du 11 […]

  9. […] sur Strasbourg et l’Ill, jusqu’au palais du cardinal de Rohan, en passant par la Douane et la Boucherie. Profitant de la magnifique perspective, on donnait fréquemment des feux d’artifice, sur la […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *