Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
Vous imaginez sans doute qu’à mon époque nous étions assez sédentaires, vous qui voyagez si facilement et rapidement, à peu près partout sur la planète. Et vous n’avez pas entièrement tort, du moins à propos de la première partie de mon existence ! Depuis mon village d’origine, Willgottheim, mes parents n’ont jamais dû aller beaucoup plus loin que Strasbourg. Les grandes réunions familiales donnaient lieu à de belles et joyeuses promenades en calèches, mais dans un rayon forcément limité.
Avec le développement du réseau de chemin de fer, avec nos mentalités de nouveaux citadins aussi, les horizons désirables se multiplièrent.
Chemin de fer
et appel de la forêt
La fin de la guerre de 1870, avec son cortège de destructions et de malheurs, coïncida avec un profond besoin de la paix que pouvait nous apporter la nature. Nous étions désormais allemands, que nous le voulions ou non, et l’âme romantique allemande, c’est bien connu, ne s’épanouit jamais mieux que dans la forêt. Pour nous, la forêt, c’était un domaine de professionnels : bûcherons, exploitants, éleveurs… Mais sûrement pas un terrain de jeu ! Et subitement, les nouvelles lignes de chemin de fer nous incitaient à considérer les immensités boisées des Vosges et de la Forêt-Noire comme un lieu culturel, poétique, sportif… une révolution !
La toute récente Badische Schwarzwaldverein — association visant à promouvoir le tourisme pédestre — éditait des guides, des plans, construisait des tours sur certains sommets… La spectaculaire ligne du Schwarzwaldbahn permettait de sillonner le massif très largement. Je crois que notre première sortie dans la région fut pour Triberg et sa cascade. Vous vous rendez compte ? On prenait le train à Strasbourg, on changeait à Offenbourg et le suivant nous déposait à près de 700 m d’altitude !
C’était charmant, sauvage, dépaysant… Mais je dois vous faire un aveu : l’aspect sportif de la randonnée m’attirait assez peu… C’était un loisir qui fédérait les vieux-Allemands, et uniquement entre hommes. Nous autres, Alsaciens, ne nous mêlions pas trop à eux. Et les sorties se faisaient en famille !
L’abbaye de Lichtenthal
Vous le voyez, ce qui m’attirait dans ces nouvelles découvertes, c’était la contemplation. La nature, la forêt, les ruines, les édifices anciens et vénérables, les ruines… autrement plus romantiques et authentiques que le « néo » qui envahissait la Neustadt de Strasbourg.
Adélaïde et moi aimions partir en villégiature à Baden. Prendre les eaux, se promener un peu dans les forêts voisines, s’étonner de ces étendues sombres de résineux bien plus uniformes que nos forêts vosgiennes, visiter les environs… J’avais dépassé 65 ans. Auguste s’occupait efficacement de l’agence d’architecture. Nous avions droit à un peu de repos.
Nous descendions volontiers à l’Hôtel de Russie où nous étions, ma foi, plutôt bien traités.
M’arrêter, admirer et prendre le temps de dessiner ce que je voyais constituait mon plaisir, le grand bonheur de mes vieux jours. Moi qui avais tracé tant de plans, je pouvais enfin m’adonner à l’aquarelle, aux joies d’un « art » purement gratuit.
Autour de Baden, on montait vers les ruines du vieux château d’Eberstein. Mais connaissez-vous la remarquable abbaye de Lichtenthal ?
Chez nous, la Révolution a quand même détruit tout un tas de monastères. Pensez à Murbach par exemple, ou à l’abbaye de Neubourg, dont Lichtenthal dépendait. Nous en reparlerons. Mais là, tout au bout d’une longue et sinueuse allée de tilleuls, je découvrais un écrin abritant des cisterciennes depuis le XIIIe siècle, sans interruption.
La mère abbesse, Maria Magdalena, nous fit exceptionnellement l’honneur de la visite, à notre troisième passage, en 1897.
L’abbaye avait été fondée par la margrave de Bade qui se fit enterrer dans la chapelle des princes avec son mari. Elle s’était retirée au monastère à la mort du margrave, après avoir confié le pouvoir à ses fils.
Allerheiligen
Il était encore beaucoup plus simple de se rendre aux ruines de l’ancienne abbaye d’Allerheiligen. Il suffisait de prendre le train jusqu’à Oppenau, d’où une voiture de louage nous emmenait à bon port. Une excursion d’une journée.
Cet ancien monastère prémontré était, lui, complètement ruiné depuis le début du siècle. Mais notre romantisme tardif avait vu dans ces ruines, muettes et solitaires, au cœur de la forêt, la quintessence de sa quête. C’était du Caspar-David Friedrich !
Mère Maria-Magdalena nous avait expliqué que les trois statues figurant au portail de la chapelle des princes de Lichtenthal provenaient d’Allerheiligen. Autour de sainte Hélène, elles représentent Gerungus, le premier abbé d’Allerheiligen, et Uta de Schauenburg, sa fondatrice.
Cette petite composition d’aquarelle ci-contre, c’était ma représentation de la Forêt-Noire, au-delà des nationalismes et de l’annexion forcée de notre province, je ne pouvais pas nier que cette rive du Rhin me faisait aussi vibrer.
Hirsau
En 1897, nous avions aussi pris les eaux non loin de Stuttgart, à Bad Liebenzell, charmante petite station thermale beaucoup plus simple que Baden.
À quelques lieux de là se trouve le site de Hirsau, dont je vous conseille aussi la découverte. Cette fois, les Français sont coupables de la ruine d’un ensemble architectural monumental. Il y avait là une très ancienne abbaye bénédictine, fondée au XIe siècle, la plus vaste de l’espace germanophone d’alors. Plus tard, tandis que la Réforme l’avait laissée intacte et en avait fait une école monastique protestante, les ducs de Wurtenberg construisirent un beau pavillon de chasse Renaissance à la place du palais abbatial. En 1692, lors d’un siège par les troupes françaises, l’abbaye et le pavillon furent incendiés et ruinés.
Seelisberg
Connaissez-vous Seelisberg ? C’est une presqu’île en promontoire sur le lac des Quatre-Cantons, en Suisse. Je le sais bien, je déborde largement du cadre de la Forêt-Noire. Mais je vous l’ai dit, notre horizon s’élargissait. En août 1899, nous nous sommes offert un petit séjour au « Grand-Hôtel und Kurhaus Sonnenberg ». Un peu démesuré, mais confortable, ce gigantesque complexe hôtelier avait été construit en 1875 à la place d’une maison d’accueil de pèlerins. L’édifice avait heureusement préservé l’adorable petite chapelle Maria-Sonnenberg qui surplombe le lac.
L’endroit était charmant, très inspirant et reposant. Et il était agréable, je le confesse, de sortir un peu de l’empire…
La Suisse offrait de belles perspectives. Marie et Jean y séjourneront souvent avec leurs enfants, notamment à Kandersteg. Mais je crois qu’elle vous en parlera bientôt.
Je ne savais pas encore que nous ne ferions plus qu’un voyage ensemble, Adélaïde et moi, à l’Exposition universelle de Paris, l’année suivante.
Vous l’avez compris, ces quelques mots sur la Forêt-Noire étaient aussi le prétexte pour moi de partager avec vous quelques esquisses, le plaisir de mes vieux jours.
Je vous emmènerai bientôt sur la rive gauche du Rhin, pour d’autres excursions dans notre Alsace inégalable.
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
Faites de votre vie,
de leur vie, un livre !
Le site des randonneurs de Forêt-Noire : https://www.schwarzwaldverein.de/
D’Offenbourg à Constace en train : https://www.interrail.eu/fr/plan-your-trip/tips-and-tricks/trains-europe/scenic-trains/black-forest-lines
Le site de l’abbaye de Lichterthal : https://www.abtei-lichtenthal.de/fr/
Le site du monastère d’Hirsau : https://www.klosterhirsau.de/fr/monastere
Benoît Vaillot : L’invention d’une frontière – CNRS Editions, 2023
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