La semaine dernière, je vous ai raconté notre escapade parisienne, en mai 1900, pour l’Exposition Universelle. Et j’ai un peu (beaucoup) passé sous silence un évènement considérable qui avait lieu au même endroit, au même moment : les Jeux de la IIe Olympiade. A cela, deux raisons : nous ne venions pas pour cela ; le concept de “sport”, relativement nouveau à l’époque, avait peu d’intérêt pour nous, je le confesse. Alors que vous rentrez dans des semaines olympiques, je vous narre un Strasbourg qui voit naître ses sports et ses sportifs.
Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.
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Jeux olympiques et Exposition Universelle
Donc en 1900, à Paris, ce fut un joyeux bazar dont nous ne suivîmes les rebondissements que de très loin.
D’un côté, le commissaire général de l’Exposition Universelle avait prévu d’organiser des « concours internationaux d’exercices physiques et de sports », au sein même de l’Exposition. De l’autre, le célèbre baron de Coubertin, président du récent Comité international olympique, tenait à ses Jeux de la IIe Olympiade, au même endroit.
Évidemment, on mêla maladroitement les deux et on décida, par mesure d’économie, de « profiter » le plus possible des installations de l’Exposition pour éviter de construire de nouvelles infrastructures pour les Jeux.
De fait, ce grand barnum s’étala de mai à octobre, sur toutes sortes de sites, avec la Seine pour axe principal (cela vous rappelle quelque chose ?). Le fleuve recevait notamment les épreuves de natation, d’aviron, et certains concours de voile.
Il y eut des dizaines de milliers de participants, amateurs pour la plupart. Mais seul un petit millier concourut pour des épreuves reconnues comme « olympiques » par le C.I.O. Ce qui rendait l’opération encore plus illisible…
Lors de notre séjour, en mai, les épreuves d’escrime avaient démarré dans la salle des fêtes de l’Exposition, sur le Champ-de-Mars (pourquoi pas au Grand Palais, tant qu’on y est ?)
Ces dames…
Je vous vois venir… On glose beaucoup, de vos jours, sur le faible nombre de participantes à ces épreuves sportives. Une douzaine seulement, sur le millier de concurrents « officiels ». Mais les codes vestimentaires de l’époque y étaient pour beaucoup. De même, bien sûr, que les postures que ces dames s’autorisaient en public. Ou que la société autorisait ? Je ne saurais dire… Mais ma chère Adélaïde aurait été horrifiée à l’idée de pratiquer certains sports.
Des sports déconcertants
En dehors de la gymnastique et des sports dits « athlétiques » — je reviendrai sur ces distinctions —, il y eut des épreuves amusantes : concours de pêche à la ligne sur les bords de Seine, concours d’aérostats, épreuves de sauvetage, croquet, tir au pigeon… vivant, ou encore tir au canon !
En tant qu’ancien artilleur, c’est sans doute le concours que j’aurais le plus aimé voir. Mais non seulement nous avions déjà quitté Paris, mais en plus l’épreuve était interdite au public !
La notion de sport à mon époque
Cette multitude de sports montre bien les hésitations quant à leur définition, aussi bien que leur origine souvent militaire. Le terme même était relativement récent. Les activités physiques, de plein air ou non, je connaissais. Tous, comme militaires, nous avions développé nos capacités. Nous pratiquions avec bonheur la marche, dans la vie de tous les jours, comme dans nos loisirs dominicaux.
Mais la dimension de performance et de records était quelque chose de nouveau. Et cette recherche de performance rencontrait, à mon époque, des motivations politiques, voire patriotiques.
“Sänger, Turner, Schützen”
Dans le nouveau Reich allemand, chanter, faire de la gymnastique et du tir étaient les trois piliers unificateurs. Ils permettaient, pensait-on, de dépasser les différences entre Bavarois et Prussiens, catholiques ou protestants.
Les Turnverein, sociétés de gymnastique, avaient été théorisés par Friedrich Ludwig Hahn, fils d’un pasteur protestant prussien, en réaction aux défaites face aux armées napoléoniennes et dans le but de reconstruire une jeunesse mâle virile et puissante, « frisch, fromm, fröhlich, frei ». Sa haine des Français était légendaire.
Comme catholique francophile, je vous laisse imaginer ce que ce programme pouvait m’inspirer…
Chez nous, justement, le Statthalter von Manteuffel, soucieux de la santé des enfants, avait mis en place une commission chargée de réfléchir à la place des activités physiques dans les programmes scolaires. Comme il cherchait la sympathie de la bourgeoisie catholique, il proposa l’ouverture aux sports dits « anglais », qui se pratiquaient souvent en plein air, et apparaissaient comme moins masculins, rébarbatifs et idéologiques que la populaire gymnastique : natation, aviron, patinage… En plus des heures obligatoires dispensées en classe, la commission préconisait au moins six heures d’exercice par semaine, en milieu scolaire ou en famille. Elle proposait l’utilisation de nouveaux terrains dans la Neustadt, mais aussi les randonnées familiales et dominicales, les bains, les douches froides et tutti quanti.
De la gymnastique, donc…
La première société de gymnastique à s’implanter durablement chez nous sera la Strasbourgeoise. Dès 1883, elle se fait construire un beau gymnase sur la Steinwallstrasse, votre rue Jacques Kablé, par un architecte allemand de Saverne, Heinrich Hannig.
Cet édifice assez élégant, d’inspiration Renaissance italienne, votre époque a jugé intelligent de le détruire en 1989. Mais la Strasbourgeoise est toujours présente à la même adresse.
D’autres Turnverein plus ou moins importants s’implantent, notamment après 1890, comme l’Alsatia.
Évidemment, les catholiques ne pouvaient être en reste et ouvrirent une section gymnique au sein de l’Union, le grand cercle catholique de l’abbé Paul Muller-Simonis. Ce qui permettait de dépouiller un peu la discipline de ses aspects nationalistes et patriotiques.
D’imposants rassemblements réunissaient tous les gymnastes de la région, lors d’affrontements par Bezirk, puis à l’échelon du Reichsland, occasions de démontrer la puissance de cette virile jeunesse.
Se promener
Vous allez me dire que « se promener », ce n’est pas du sport. Mais il s’agissait pourtant de l’activité physique la plus répandue, la plus naturelle et quasiment innée chez tout bon Steckelburier. Nous allions nous promener, dès que l’occasion s’en présentait. En ville, dans les parcs et jardins des environs. Et puis dans les campagnes de nos origines familiales ou dans les Vosges.
Mais nous ne parlions pas de «randonnée». Ce concept sportif, nous le laissions aux Allemands et à leurs tenues bizarres.
L’avènement du cyclisme
Le sport qui avait le plus de succès, au point qu’on craignit qu’il détrônât la gymnastique, c’était le cyclisme. Très rapidement, on construisit un vélodrome sur les terrains militaires, à mi-chemin entre la porte de Pierre et le cimetière Sainte-Hélène. C’était le royaume du Club des Vélocipédistes, fondé en 1881.
La naissance du Germania en 1887, puis du Celeritas prouvait la vitalité du nouveau phénomène. Plus populaire que l’hippisme, la pratique avait autant de succès en compétition que dans ce qu’on appellerait de vos jours le cyclotourisme. Même si je n’ai jamais enfourché un de ces engins, il faut reconnaître qu’ils permettaient à tout à chacun de se déplacer aisément assez loin.
Mais même là, des connotations politiques existaient. À la troisième édition du célèbre Tour de France, une étape arriva au Ballon d’Alsace. Elle déclencha tant de ferveur francophile auprès du public alsacien venu en nombre que le Kayser interdit les incursions de la compétition dans le Reichsland.
Les joies de l’eau
Je pense que vous l’avez saisi, dans ma génération, il était peu fréquent, voire inimaginable, de se dévêtir en public ! Dès lors, nous ne fréquentions guère les nombreuses installations de baignade de loisir ou sportive qui, petit à petit, essaimaient dans la ville.
Il est vrai que j’avais fait installer une salle de douche dans l’immeuble que j’avais construit pour nous en 1880. Et je suis bien conscient que tout le monde n’avait pas cette chance d’un accès aussi facile à l’hygiène.
Malgré tout, certaines scènes dépassaient mon imagination. Il y avait même un espace naturiste, le Licht-Luft-Bad, dirigé par le responsable des Archives municipales, au Tivoli. Adélaïde s’en serait pâmée, s’il avait été encore de ce monde…
L’aviron
Dans une ville aux si nombreux cours d’eau, il était normal que ce sport anglais se développât rapidement ! Un des premiers clubs, le Rowing, fut fondé dès 1879, à l’endroit qui ne s’appelait même pas encore Hafenwallstrasse, votre rue de Saales. Il sera suivi par le Ruder-Verein en 1881, l’Ill-Club en 1884, puis l’Alsatia, la Stella, la Regatta…
Là encore, la pratique sportive cohabitait avec une activité de loisir. Les joutes ancestrales nous amusaient toujours. Et qui n’aimait pas aller canoter à l’Orangerie ?
Mais regardez bien les deux photos suivantes :
Une trentaine d’années seulement les sépare. Le changement est notoire, non ? En 1890, ces dames n’auraient jamais imaginé être dans la tenue de leurs descendantes ! Mais sans doute rêvaient-elles de libérer leurs mouvements des contraintes d’un vestiaire compliqué.
En l’occurrence, sur la photo de droite, les deux rameuses sont mes arrière-petites-filles, Colette et Monique, les filles de ma petite-fille Jeanne, championnes d’Alsace avec leur club des Libellules. Mais qu’aurait pensé leur arrière-grand-mère ??
Le patinage
J’étais beaucoup trop vieux pour cela, mais nos jeunes aimaient bien aller patiner en hiver sur l’étang gelé de l’Orangerie. Parfois même sur l’Ill, par les hivers très rigoureux. En cette fin de mon siècle, alors que le tennis faisait aussi son apparition dans la haute société, on avait même pris l’habitude d’arroser les courts par grand froid, à la promenade Lenôtre (où se trouve votre Conseil de l’Europe) ou près du Kronenburgerring.
C’est donc sur la fin de ma vie que l’activité physique, jusqu’alors synonyme de labeur, de préparation à la guerre ou de loisir, s’est peu à peu muée en compétition, recherche de la performance, exigence hygiénique, voire patriotique ou politique. Les sports de masse tels que le football ou le rugby s’apprêtaient à envahir le quotidien. Les grandes manifestations sportives, comme les Jeux Olympiques que vous vous allez vivre, commençaient à soulever l’enthousiasme des foules. Mais pour la génération qui suivait la mienne.
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
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Patrick Hamm – Strasbourg 1878 à 1945 – Éditions du Signe
Pierre et Astrid Feder – C’était hier à Strasbourg – Éditions le Chardon
Pierre Perny – L’arrivée du sport en Alsace – Revue d’Alsace 140/2014 (http://journals.openedition.org/alsace/2140)
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