S’il est un lieu que j’ai toujours affectionné, c’est bien le parc de l’Orangerie à Strasbourg. Notre bonne ville est un peu avare en espaces verts, il faut bien l’avouer. Je crois que les strasbourgeois de toutes les époques, de toutes les générations, ont en partage une attention pour ce lieu de quiétude.
L’Orangerie d’avant-hier
Dans les années 1850, le parc n’avait pas l’aspect que vous lui connaissez actuellement. Et il n’était pas au cœur de la ville ! Nous y allions en fiacre ou en calèche, plus tard en tramway.
Son origine est lointaine. Vers 1700, les militaires usagers du manège et du dépôt d’étalons des environs réclamaient une promenade. Les chevaux avaient besoin de grands espaces…
On dit qu’un ingénieur militaire nommé Antoine du Chaffat créa ensuite un parc en 1740. Même si certains strasbourgeois particulièrement francophiles aimeraient en faire remonter l’origine à André Le Nôtre… Mais c’est la Révolution qui, indirectement, donna son nom à la promenade. En 1793, la Convention nationale confisqua le château de Bouxwiller et les biens qu’il abritait. Le comte Jean-Régnier III de Hanau-Lichtenberg y collectionnait 138 orangers dont personne ne voulait et qui furent finalement attribués à la municipalité de Strasbourg.
Celle-ci fit alors construire une orangerie pour abriter cet héritage. C’est mon illustre collègue et prédécesseur Pierre-Valentin Boudhors qui dirigea les travaux. Le bâtiment était en bois à l’origine. On lui donnera un peu plus tard le nom de Pavillon Joséphine, en hommage à Joséphine qui séjourna deux fois à Strasbourg. La première fois, elle y demeura pendant toute la campagne d’Austerlitz de son empereur de mari, de septembre 1805 à janvier 1806. La seconde fois, elle et Napoléon alors sur la route de Wagram
assistèrent à une grande fête organisée à leur attention le 28 mai 1809. Le pavillon y fut majestueusement illuminé.
L’Orangerie de ma jeunesse
Il faut bien imaginer que, jusqu’en 1870, l’Orangerie était complètement à l’extérieur de la ville. Dans sa direction, le nord-est, les fortifications militaires enserraient les immeubles tout juste au-delà du canal des Faux-Remparts. Ensuite, c’était la campagne, les jardins, les maraichers, le parc de Contades (pourquoi dites-vous “des Contades”, alors qu’il doit son nom à son initiateur, le Maréchal de Contades ?), et le Wacken. Tout cet espace séparait alors Strasbourg de la Robertsau et de Schiltigheim. Il était même question, en 1835 d’y implanter une grande promenade réunissant le Contades et l’Orangerie au Wacken.
Bref, lorsque nous allions nous promener à l’Orangerie, jeunes mariés, nous sortions vraiment de la ville. Mais quel plaisir d’y voir des enfants courir, jouer au cerceau, au volant… On y saluait les amis et connaissances, en fiacre ou à cheval. Après la naissance d’Auguste, en 1863, il était facile de l’y emmener en omnibus à cheval.
L’Orangerie allemande
Mais le grand bouleversement est venu après le siège de 1870 – je vous en parlerai bientôt – et l’annexion allemande. Le projet d’immense extension de la ville, ce qu’on appellera la Neustadt, devait s’implanter majoritairement dans le grand espace séparant la vieille ville de l’Orangerie. Pendant une dizaine d’années, les autorités ont présenté aux habitants plusieurs plans, parfois un peu délirants. Je dois pourtant avouer que la période était passionnante pour qui s’intéressait un tant soit peu à l’urbanisme et à l’architecture. C’est dans le même temps que je réussis à faire l’acquisition d’une parcelle touchée par les bombardements du siège et à construire l’immeuble familial.
Finalement, en 1880, le plan Conrath fut adopté, qui englobait l’Orangerie dans la nouvelle ville, tout en lui donnant une ampleur bien plus importante.
Plutôt amusantes, toutes les circonvolutions imaginées pour les allées du nouveau parc, n’est-ce pas ? L’aspect “Le Nôtre” en prend un coup ! Des plans de mon ancien supérieur Jean-Geoffroy Conrath (et de leurs inévitables modifications) à leur concrétisation, une bonne décennie de travaux dans tout le secteur nous éloigna quelque peu de notre petite promenade. C’était l’effervescence !
L’Exposition industrielle et artisanale de 1895
Finalement, le parc prit la forme que vous lui connaissez à l’occasion d’une grosse manifestation qui marqua l’histoire de la ville : l’Exposition industrielle et artisanale qui s’y tint de mai à octobre 1895. Vous pensez que votre Europa Park est à la pointe de la modernité ? Mais l’Orangerie de 1895 l’avait devancé ! C’était un véritable parc d’attractions et de curiosités éphémères, peuplé de bâtisses plus bizarres et tarabiscotées les unes que les autres. Pour l’occasion, on a creusé le lac où vous aimez toujours canoter, on a élevé la colline d’où coule encore une cascade… Sauf que, pour l’exposition, on y élevait des saumons ! De grandes halles aux styles indéfinissables présentaient les derniers progrès de l’industrie et de l’artisanat
allemands, suisses et bien sûr alsaciens. C’était lourd mais divertissant, souvent intéressant, absolument wildromantisch !
De cette Folie (dans le sens architectural du terme), il reste deux constructions que vous connaissez : la cabane du pêcheur, qui devait témoigner de l’habitat d’un artisan des bords de l’Ill – et où vous louez les barques -; et une maison traditionnelle à colombages, spécialement déplacée depuis Molsheim – votre actuel Buerehiesel.
Le Hauptrestaurant a tenu beaucoup plus longtemps que prévu, jusqu’en 1961 je crois. Et c’était une institution. Le machin “moderne” qui a pris sa place n’a vraiment pas le même cachet ! En cherchant bien, vous trouverez une autre trace de l’exposition, le bâtiment administratif de l’exposition, démonté et remonté bien plus loin : il s’agit du restaurant “Au Nid de cigognes” à la Montagne Verte.
Le repos de mes vieux jours
Au-delà de ce mémorable barnum, l’Orangerie resta longtemps un lieu de fêtes et de manifestations en tous genres. On s’y rassemblait, on y défilait, on s’y fédérait. Il y eut par exemple la création de l’Automobile Club d’Alsace-Lorraine en 1900, qui compta parmi ses membres Madame Clémence Hirtzlin, première pilote automobile au monde. Elle habitait juste à côté, une des premières maisons de l’allée de la Robertsau, en face de cette autre merveille disparue, le fameux restaurant Baeckehiesel. J’étais trop vieux pour profiter de la nouvelle salle de bal qui affolait le tout-Strasbourg, mais j’aimais y déguster une tranche de kouglof après une promenade au parc.
au Buerehiesel en 1900
Parce qu’un de mes ultimes plaisirs, après la disparition d’Adélaïde, était d’accompagner Marie et ses enfants au parc, aux beaux jours. Jeanne et le petit René jouaient tandis que je somnolais, dans la douceur d’une fin d’été, sous la tonnelle de charmes qui existe toujours. Ou alors j’y retrouvais mon cher ami et beau-frère Camille Schauffler, qui habitait tout près. C’est un des endroits les plus apaisants et agréables de l’Orangerie, un peu à l’écart de l’agitation, sous une ombre bienfaisante. Je vous le recommande.
Votre Orangerie
Dans une plus grande sobriété, votre Orangerie a gardé tout le charme que nous lui aimions. Vous allez toujours vous y promener en famille. Les enfants aiment toujours ces grands espaces au cœur de leur grande ville. Très longtemps, ils ont aimé y admirer les animaux du zoo construit après l’exposition. Aucun petit strasbourgeois n’est digne de l’être sans avoir fait de nombreux tours du circuit de voitures anciennes qui résiste toujours à la modernité. On y croise d’innombrables personnes qui font une chose que je n’aurais
jamais imaginé voir à mon époque : courir ! Le pavillon Joséphine, victime d’un incendie en 1968, a heureusement été reconstruit à l’identique, et cette fois en dur. Mais il est quand même dommage d’avoir bouché la perspective qui y mène par le bâtiment du Conseil de l’Europe… Mes jeunes collègues sont bizarres parfois.
Comme une plume
Antoine Wendling, biographe rédacteur
Faites de votre vie,
de leur vie, un livre !
Laisser un commentaire