Le siège de Strasbourg en 1870 (2)

La Citadelle assiégée

Le siège de Strasbourg dure maintenant depuis une semaine. Au matin du 25 août 1870, nous avons peu dormi, une fois de plus. Le bastion 12 est en première ligne, mais je suis surtout fou d’inquiétude pour Adélaïde et Auguste, seuls à la maison. La ville se réveille hébétée, la stupeur se lit sur les visages de celles et ceux qui arpentent les gravas partout éparpillés. Tout le secteur compris entre la place Broglie, la place Kléber et la Cathédrale a subi des dommages irréversibles.

Des siècles en cendres

De l’Aubette, qui abritait depuis un an à peine le Musée des Beaux-Arts de la Ville, il ne reste que des murs calcinés. D’inestimables oeuvres de Véronèse, du Tintoret, de Le Brun ou de Rigaud sont perdues à jamais. Mais le plus déchirant, le plus irréparable reste la destruction du Temple-Neuf, de son orgue Silbermann, et de la Bibliothèque municipale contiguë. Un des fonds les plus riches d’Europe, plus de 200 000 volumes, des milliers de manuscrits, l’inestimable Hortus deliciarum de Herrade de Landsberg… tout n’est plus que cendres.

Le bombardement continue toute la journée du 25 août et s’intensifie terriblement au soir. Tout le Faubourg National semble exploser. Et vers minuit, la Cathédrale s’embrase. La charpente et la toiture de la nef tombent en débris sur les blessés réfugiés dans l’édifice.

Mais cela ne suffit pas. L’église de l’hôpital, elle aussi remplie de blessés, brûle à son tour. Puis, la Mairie, la Préfecture, le pont du Théâtre…

Comment une nation qui se dit civilisée, héritière d’une si riche culture, peut-elle s’en prendre volontairement à tant de trésors ?

Le 26 août, une folle rumeur annonce à nouveau l’arrivée imminente de l’armée française. 40 à 50 000 hommes ! Nous sommes sauvés ! Une fois de plus, il faut déchanter et accepter la nuit qui apporte son cauchemar de destructions. Tout est écrasé autour du faubourg National et du faubourg de Saverne. Dans son état, Adélaïde supporte de plus en plus mal ces nuits d’horreur. Elle est épuisée. Et moi, inquiet…

Le début de la fin

Mais Strasbourg tient. Malgré les morts, les innombrables blessés, les bâtiments publics et privés ruinés, le général Uhrig refuse de capituler. Alors le général allemand von Werder commence le travail de sape des fortifications, précisément au niveau du saillant formé par la porte de Pierres.

Les bombardements ne cessent pas pour autant, mais ils sont davantage concentrés sur les fortifications, et donc les faubourgs. Le faubourg de Pierres n’est plus qu’un vaste champ de ruines.

Le 2 septembre, le général Uhrig ordonne une percée en direction de Cronenbourg, vers les Rotondes. Bien qu’héroïque, elle avorte. Et le même jour, nous l’apprendrions plus tard, Napoléon capitule à Sedan et se rend. L’empereur prisonnier… Comment avait-on pu en arriver là ?

L’atmosphère est de plus en plus pesante et menaçante en ville. Le 7 septembre, des obus touchent à nouveau la place Broglie et la Mairie. Le 9, le bastion 12 devenu indéfendable, on nous affecte au bastion 4, derrière l’Hôpital civil. Mais je rejoins Adélaïde, trop proche du terme.

Le 10 septembre : joie et stupeurs

Ce fameux 10 septembre 1870 arrive enfin et débute sous de sombres auspices. Vers 11h, une épaisse colonne de fumée s’élève depuis la place Broglie. C’est le théâtre tout entier qui brûle. Le merveilleux édifice de Villot, dont la ville est si fière, et qui abrite lui aussi des blessés et des réfugiés, est totalement détruit. Bombarder un théâtre plein de civils sans défense… il parait que cela se fait encore à votre époque…

Dans le même temps, on annonce à nouveau l’arrivée imminente du corps d’armée du général Dumont. Colmar serait en liesse ! Et puis des bruits courent annonçant la chute de l’Empire et la proclamation de la République. Alors, la fin de la guerre ? Strasbourg sauvée ?

Si l’arrivée de troupe française s’avère encore une fois illusoire, une vraie bonne nouvelle commence à se répandre. Une délégation suisse arrivera demain et proposera aux habitants sinistrés d’aller se réfugier en Suisse.

Mais au-delà des drames et des espoirs, au cœur de la ville meurtrie, de ses morts et de ses blessés, Adélaïde met au monde un petit être innocent. C’est une fille ! Nous l’appellerons Marie Marguerite. Sa venue est un rayon de soleil dans cette longue nuit de malheurs. Vous vous doutez bien qu’il n’était guère envisageable de requérir les services d’un photographe en de pareilles circonstances. Alors vous vous contenterez du portrait de Marie que j’aime beaucoup, 13 ans plus tard, annonciateur de la belle femme qu’elle deviendrait.

Pour l’heure, seul comptait la bonne santé de l’enfant et de sa maman, ainsi que l’espérance de pouvoir continuer à subvenir à leurs besoins.

Avec l’arrivée des délégués suisses, le lendemain, nous avons enfin la confirmation des rumeurs : la défaite de Sedan, l’empereur prisonnier, la proclamation de la République.

Marie Wendling en 1883
Marie Wendling en 1883

Strasbourg plie mais ne rompt pas

La flèche de la cathédrale de Strasbourg touchée par un obus allemand
La flèche de la cathédrale
touchée par un obus allemand

Pour autant, le général Uhrig ne capitule pas. On se prend à espérer que les Allemands ne poursuivent pas leur offensive face à la République naissante. Que nenni ! Le 14 septembre, la canonnade est formidable toute la journée. Quel environnement pour un bébé de quelques jours… Vers midi, un obus tiré par la batterie du Wacken atteint la flèche de la Cathédrale déjà si meurtrie, juste en son sommet. Le résultat d’un stupide pari entre artilleurs, dit-on.

En même temps que le continuel bombardement – des milliers d’obus chaque jour -, le travail de sape des fortifications se poursuit au nord. Les tranchées se rapprochent dangereusement de la porte de Pierres.

Alors que la ville s’est donné un nouveau maire républicain en la personne du Docteur Kuss, le préfet Valentin nommé par Gambetta arrive clandestinement à Strasbourg le 20 septembre. Hasard ou non, sa résidence, l’admirable hôtel Klinglin du quai Lezay-Marnésia, croule sous les bombes le même jour. Il n’en reste que des ruines… que votre serviteur sera plus tard chargé d’expertiser puis de reconstruire, sous la direction de Jean-Geoffroy Conrath et de son adjoint Edouard Roederer. C’est encore un des joyaux de notre patrimoine qui disparait.

Antoine Wendling et ses collègues dans les ruines de la préfecture de Strasbourg après les bombardements de 1870
Expertise des ruines de la Préfecture. Mes collègues Wachter, Roederer, Fabian, Brumpter et moi, tout à droite.
(Photo de Chales Winter)

Comme une plume

Antoine Wendling, biographe rédacteur

Les aquarelles de la page sont de E. Schweitzer
Pour la chronologie des faits, se reporter à l’excellente page :
https://www.fort-frere.eu/la-place-forte-de-strasbourg/son-histoire/siege/

7 réponses à “Le siège de Strasbourg en 1870 (2)”

  1. […] pont pratiqué vers la lunette 52, près de la porte de […]

  2. […] 1870, vous le savez, la bibliothèque municipale du Temple Neuf fut ravagée par les bombardements […]

  3. […] protégée derrière des fortifications, comme la plupart des grandes villes. Comme défenseur, j’ai combattu sur les remparts du vieux Strasbourg. Comme architecte, j’ai construit sur leurs vestiges. Puis j’ai vu Strasbourg tripler […]

  4. […] de Strasbourg. Nous l’avons souvent évoqué : les canons allemands se sont acharnés sur le bastion 12 de la porte de Pierres. Tout le front nord de la vieille ville — et donc le quai Schoepflin — est un champ de […]

  5. […] Pourquoi dans la cave ? Parce que Strasbourg subissait un de ces terribles bombardements dont le siège prussien la […]

  6. […] arrière-grand-mère est née dans une cave, au plus fort des bombardements de septembre 1870. Pendant huit mois, elle est Française, avant que le traité de Francfort n’en fasse une […]

  7. […] A droite de la photo, vous apercevez encore les gravats de l’Aubette incendiée dans la nuit 23 août 1870. Nous habitions alors tout près, au 25 du Fossé des […]

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