Le quai et l’école Schoepflin à Strasbourg

Voilà un quai de Strasbourg intéressant à plus d’un titre ! Il marque la pointe nord de l’élipse insulaire. Ravagé par les bombardements de 1870, il a su se reconstruire sans s’enlaidir. Il conserve, envers et contre tout, les vestiges d’un des plus anciens bâtiments de la ville, la tour du dépôt d’Artillerie. Et il s’est paré d’un des plus beaux édifices scolaires : l’école Schoepflin, que l’on appelait primitivement école Saint-Pierre-le-Jeune.

Antoine Wendling
Antoine Wendling

Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore,
je suis Antoine Wendling, architecte strasbourgeois né en 1828.
Je raconte dans ces pages quelques souvenirs de ma vie professionnelle ou familiale dans la capitale alsacienne que j’ai tant aimée.
En suivant ces liens, vous pouvez mieux nous connaître, moi et ma petite famille.

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La préhistoire du quai Schoepflin

Sur le vieux cadastre napoléonien, le quai ne s’appelle même pas encore Schoepflin. Sa première partie, à l’ouest, prolonge le quai Kellermann, dont nous avons récemment parlé ensemble. En face se trouve la rue des Cerceaux, que l’on appellera quai Finkmatt en 1849, jusqu’à l’immense caserne du même nom, longée par la rue de la Soupe à l’Eau. Désolé, mais je devais la citer ! Je n’ai jamais pu me consoler de l’abandon de ce doux nom…

On a encore tendance, en 1840, à appeler la seconde partie, celle qui redescend vers le sud-est, quai de la Comédie. En face, la fortification, et la campagne qui s’étend vers le parc de Contades. Toute cette section est marquée par la présence de la Fonderie. Nous en avons déjà parlé en évoquant la place Broglie.

Par contre, la partie ouest a toujours été construite. Depuis très longtemps, en tout cas, une étroite bande d’immeubles s’élève entre le canal et la rue du Fort. Celle-ci doit son nom à la Burgthor, qui gardait la rue de la Nuée Bleue.

Le quai Schoepflin les pieds dans l’eau

Parce que, ne l’oublions pas, les quais de ce côté de la ville n’ont été construits qu’en 1830, après la destruction de la fausse-braie qui a donné son nom au canal du Faux-Rempart et qui divisait ce dernier en deux. Une haute tour marquait alors le point septentrional, à peu près à l’emplacement de la future école Schoepflin.

Les Zorn von Bulach et la Justice au quai Schoepflin

Juste derrière cette tour, appelée « Tour proche de la Fonderie », les Zorn de Bulach possédaient un bel hôtel, prolongé d’un petit jardin.

Les vastes jardins de l’hôtel du Maréchal du Bourg — donnant sur la rue de la Nuée Bleue et qui deviendra palais de justice, puis commissariat central et de vos jours hôtel Léonor — rejoignaient la Fonderie royale. Plus tard, mais encore bien avant ma naissance, ce grand parc céda sa place à la Maison de Justice, façon solennelle de nommer la prison.

A quelques années d’intervalle, un futur empereur français et un futur maire de Strasbourg s’y succédèrent dans la même cellule, dit-on. Louis-Napoléon Bonaparte, à 18 ans, y acheva son coup d’état manqué en 1836. Treize ans plus tard, Émile Kuss y purgera sa peine pour complot après la Révolution de 1848. Là, pour le coup, je m’en souviens très bien. J’attaquais tout juste mon service militaire.

L’Arsenal et la Fonderie au quai Schoepflin

En 1852, la grande tour du coude septentrional du quai Schoepflin est arasée. Mais, à l’autre bout, les bâtiments de la direction de l’Artillerie subsistent. En-dehors d’un gros mur d’enceinte, ce sont les seuls éléments de l’Arsenal qui donnent directement sur le quai.

On dit que la tour du dépôt d’artillerie datait de 1250. Les autres bâtiments, plus récents, ont pris appui sur des soubassements du XIVe siècle. C’est une bonne chose que votre époque les ait préservés. Mais leur état et leur présentations laissent quelque peu à désirer…

Jean-Daniel Schoepflin

Alors pourquoi quai Schoepflin ? Quels sont les Strasbourgeois capables de situer encore cet auguste personnage ?

Il est né en 1694 à Sulzburg, d’un père allemand, qui voudrait le voir devenir pasteur, et d’une mère colmarienne. Après des études partagées entre Bâle et Strasbourg, le jeune Jean-Daniel obtient, dès 1720, la chaire d’histoire et de rhétorique de l’Université de Strasbourg.

Il s’illustre alors parmi les plus grands professeurs que la Ville ait comptés. Conseiller auprès de Louis XV, ses talents d’historiographe et de généalogiste lui confèrent une renommée européenne. Mais il tient à rester à Strasbourg et s’attache à écrire sur la région. Ses deux volumes L’Alsace illustrée, ainsi que l’Alsace diplomatique restent des références.

Le quai Schoepflin en 1870

Strasbourg - Quai Schoepflin - Plan relief 1865
Détail du plan relief de 1865, juste avant la guerre. A gauche le théâtre, puis l’Arsenal, l’Ecole d’Artillerie et la fonderie. Après le coude, les maisons du quai Schoepflin, avec les restes de la tour, l’hôtel de Bulach par derrière et la Maison de Justice. De l’autre côté du canal, la caserne Finkmatt.
Strasbourg - Quai Schoepflin 1870
Les numéros 5, 4 et 3 du quai Schoepflin endommagés par les bombardements, mais toujours debout (Archives de Bâle)

Dans le prolongement du faubourg de Pierres, le quai Schoepflin a terriblement souffert des bombes prussiennes durant le siège de Strasbourg. Nous l’avons souvent évoqué : les canons allemands se sont acharnés sur le bastion 12 de la porte de Pierres. Tout le front nord de la vieille ville — et donc le quai Schoepflin — est un champ de ruines.

Les rescapées du quai Schoepflin

Les numéros 3, 4 et 5, bien qu’endommagés, sont toujours debout. Construits entre 1840 et 1860, ces nobles immeubles jettent sur les alentours un regard désolé…

Ces belles maisons se distinguent notamment par leurs hautes portes d’entrée, assez inhabituelles. Quant au balcon du numéro 3, il s’orne d’une ferronnerie richement travaillée, centrée sur une mystérieuse figure. J’avais là-dessus une théorie. Je vous la livre en images…

Difficile de ne pas voir une allusion à la grande rose de notre chère cathédrale. Le personnage, à la forme de son chapeau notamment, pourrait alors être son concepteur — du moins le pensait-on à l’époque —, notre maître à tous, Erwin de Steinbach. Mais pourquoi ici ? Parce que Schoepflin en parle dans son Alsatia illustrata ?

En face, le quai Finkmatt et le faubourg de Pierres ne sont plus que ruines et désolation.

De la caserne Finkmatt ne subsiste que la partie méridionale. Elle restera debout jusqu’au début des années 1890. On décidera alors de l’abattre pour faire place au nouveau tribunal et à la nouvelle église Saint-Pierre-le-Jeune catholique.

Strasbourg -Faubourg de Pierre 1870
Le faubourg de Pierres et le quai Finkmatt, depuis le quai Kellermann, en 1870

L’école Schoepflin

Les bombes prussiennes eurent au moins le mérite de dégager un bel espace que l’on put consacrer à un projet jusqu’alors inabouti. Les écoles protestantes et catholiques Saint-Pierre-le-Jeune, réparties dans diverses maisons alentour, réclamaient de longue date un regroupement logique.

Les nouvelles écoles de la ville

La municipalité et ses architectes avaient entamé un programme d’édification d’écoles non-confessionnelles… mais tout de même en lien avec les paroisses. Par exemple, en échange d’un terrain paroissial, la ville construisait un bâtiment scolaire, mais pour les enfants du clocher, ou en tout cas de la « bonne » religion. Ainsi Félix Fries avait-il bâti l’école Sainte-Aurélie ou l’école Saint-Jean.

Strasbourg - École Sainte-Aurélie en 1870
L’école Sainte-Aurélie après les bombardements de 1870

Jean-Geoffroy Conrath, son successeur — sous les ordres duquel j’avais travaillé comme conducteur de travaux —, pérennisa une nouvelle architecture scolaire à Sainte-Madeleine, Saint-Guillaume ou encore Saint-Louis. Elle se distinguait par un souci de l’éclairage des salles de classe. Ces écoles sont donc percées de larges baies en plein cintre. Malgré leur élégance, ces bâtiments ne pouvaient renier leur destination utilitaire.

Les plans de l’école Schoepflin

La Ville avait racheté, début 1870, un terrain situé entre la rue du Fil et la rue du Fort. La guerre interrompit le projet, qui fut néanmoins repris par l’administration allemande. En 1874, Conrath et Edouard Roederer produisirent les plans d’un nouveau bâtiment, adapté à la forme particulière de la parcelle.

1874, c’était justement l’année de mon installation à mon compte. Avec Roederer notamment, j’avais travaillé à la reconstruction de la Préfecture. Mais être aux ordre d’une administration allemande ne me convenait pas. J’avais, de ce fait, sauté le pas de l’indépendance.

Ce qui ne m’empêchait nullement des petites visites de courtoisie à mes anciens collègues. J’aimais la simplicité, le classicisme et l’évidence de ces plans.

Il y eut bien quelques modifications, mineures, au niveau du fronton notamment. Mais, pour l’essentiel, Conrath resta fidèle à cette architecture à la française — certains diront néo-Louis XIII — que j’affectionnais et dont j’allais largement m’inspirer pour mon immeuble du quai Kellermann, quelques années plus tard. On se rappelle que les impératifs allemands en matière d’architecture officielle ne s’appliquaient pas aux endroits par eux bombardés, et encore moins dans la vieille ville.

Faire une belle école

Le rez-de-chaussée est en pierre de taille, de même que le corps central et les travées des escaliers. Aux étages, les remplissages en brique rouge que j’aime tant, avec les chainage de murs de refends en pierre. Classique, sobre, élégant. Et, évidemment, la toiture à la Mansard. Conrath peut s’affranchir des grandes baies vitrées qu’il utilise à Sainte-Madeleine par exemple. Ici, les salles de classes sont toutes éclairées des deux côtés et largement aérées.

Conrath – Elévation de la façade arrière de l’école Schoepflin (AVES)

On rajouta une loge pour le concierge au centre et, par la suite, des préaux dans la courbure qui remplirent le rôle de l’inévitable Turnhalle. Il est vrai que les préoccupations sportives et hygiénistes n’habitaient pas le plan primitif de Conrath…

J’aimais le soin apporté aux détails et j’appréciais le souci d’offrir un cadre d’apprentissage élégants aux 1200 petits élèves, catholiques et protestants mélangés, mais filles et garçons séparés !

La reconstruction du quai Schoepflin

Évidemment, on ne reconstruisit pas l’ancien numéro 6 du quai Schoepflin. Mais le pignon du numéro 5 en porte encore la trace. On fit redescendre – littéralement – la rue du Fort à angle droit et on prolongea la rue de l’Écrevisse, qui venait tout droit de la place Broglie, jusqu’au quai. De vos jours, elle est largement coupée en deux par les ateliers d’un grand quotidien…

Le numéro 4 et le numéro 3, qui appartient au chemins de fer impériaux, sont reconstruits à l’identique. Par contre, le grand bâtiment du numéro 2 est divisé en deux immeubles, construits par le même architectes et presque semblables.

Strasbourg - 5 quai Schoepflin
Le pignon du 5 quai Schoepflin (AW)

Avoir une façade sur le quai Schoepflin et l’autre sur la rue du Fort comporte des contraintes. Cette dernière étant très étroite, la police du bâtiment impose une hauteur moindre que sur le quai. Le principe d’une haute porte d’entrée sur rez-de-chaussée en pierre de taille est conservé, de même que les trois étages avec balcon central au premier. L’unité esthétique du quai est remarquable.

Mais j’avoue un faible pour la maison d’angle, qui donne à la fois sur le quai Schoepflin, la rue de la Nuée Bleue et la rue du Fort. Avec ses arcades en grès rose, comme ses chaînages d’angle et ses encadrements de fenêtres, elle a fière allure ! Son propriétaire, monsieur Silberzahn, l’a fait reconstruire dès 1871. Même s’il a dû reculer d’1m50 pour respecter le nouvel alignement de la rue de la Nuée Bleue, c’est une des plus belles maisons alentour.

Le pont aux caniches

J’ai toujours considéré que la forme de la nouvelle école Schoepflin dessinait, très généreusement, une sorte d’accueil de la Neustadt allemande. Elle semblait ouvrir ses bras à la nouvelle église catholique Saint-Pierre-le-Jeune et au nouveau tribunal. Mais il fallut tout de même attendre 1893 et l’achèvement de l’église pour qu’un pont traverse le canal et relie les deux éléments de la ville.

Strasbourg - Construction du pont de la Fonderie
La construction du pont de la Fonderie en 1893 – Le Tribunal n’existe pas encore mais le côté est de la rue du Fossé des Treize est bien construit. Sur son côté ouest, les restes de la caserne Finkmatt ont été abattus.
Strasbourg - Pont de la Fonderie
Lampadaires du pont de la Fonderie (AW)

Il est réussi, ce pont sans pile centrale de Johann Karl Ott, le successeur de Conrath. Mais, vous le savez, les Alsaciens ont un humour un peu vachard… Nous l’avons surnommé Pudelbrücke, le pont aux caniches. Mauvaise foi totale, puisqu’à l’époque on plaçait des lions partout ! Moi-même j’en ai mis un dans ma cage d’escalier. Bon, ceux-là sont particulièrement hautains et sévères…

Strasbourg - Rue de la Fonderie - 1900
La rue de la Fonderie vers 1900 – Les bâtiments à l’angle du quai ont servi d’écurie aux officiers après 1870 – Il sont été détruits en 1956 pour laisser la place au grand édifice des chèques postaux, sur des plans de Léon Azéma, architecte du palais Chaillot.

Finalement, le quai Schoepflin cumule un passé militaire, industriel, judiciaire, commercial, scolaire… Ses édifices témoignent de plusieurs siècles d’architecture. Mais l’école Schoepflin en est le marqueur principal. Avant les démonstrations historicisantes de Johann Karl Ott au Lycée des Pontonniers ou monumentales de Fritz Beblo à l’école Saint-Thomas, elle est le reflet des influences françaises sur nous autres, architectes strasbourgeois. Comme une ultime apparition avant le déferlement germanique sur la Neustadt.


Préserver en modernisant

En 1997, mon jeune collègue Clément Keller dirigea la restructuration de l’école Schoepflin, sa restauration, son extension, la création d’un gymnase, d’un centre médico-social et d’un espace jeunes. Ce beau projet, confié aux architectes strasbourgeois Patrick Weber et Pierre Keiling, a permis de pérenniser les bâtiments de Conrath, mais aussi d’en embellir l’aspect, grâce à la destruction de très laides galeries construites en 1949 à la place de la clôture d’enceinte.

Références pour le quai Schoepflin de Strasbourg :
Toujours l’incontournable et précieux https://www.archi-wiki.org
Et celui des Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg : https://archives.strasbourg.eu/
Georges Foessel : Strasbourg, panorama monumental – Contades
Le concours et les documents de Clément Keller, ancien architecte à la direction de l’Enfance et de l’Éducation de la Ville de Strasbourg

3 réponses à “Le quai et l’école Schoepflin à Strasbourg”

  1. […] sur l’emplacement d’une ancienne demeure noble n’était pas chose nouvelle. L’école Schoepflin avait bien pris la place de l’ancien hôtel des Zorn de Bulach. Ici, il s’agissait […]

  2. […] germanique grandissante, la municipalité décide la construction d’une école. Après l’école Schoepflin, après le Neue Realschule (collège Foch) et avant la Höhere Mädchenschule (Lycée des […]

  3. […] Plus tard, nous retrouvons à la même adresse Jean-Daniel Schoepflin, dont nous avons raconté récemment le quai et l’école. […]

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